Censure et autocensure à tous les étages !

La littérature de jeunesse est le seul secteur de l’édition où la censure s’exerce ouvertement en démocratie. Comment cette « censure » fonctionne-t-elle et à partir de quelle réglementation ?

histoire politique de la France, marquée par le centralisme et le contrôle depuis Richelieu, permet d’expliquer l’existence d’une longue tradition de censure dans l’Hexagone. Aujourd’hui, un domaine est encore maintenu sous surveillance : c’est la littérature de jeunesse, car la religion, l’école et le pouvoir politique ont cherché, dès l’apparition des premières œuvres adressées à ce public, à en assurer le contrôle.

Une tradition ancienne

La surveillance religieuse renvoie à des pratiques fort anciennes (Inquisition) et se fonde sur des outils extrêmement efficaces, comme la mise à l’index par l’Église. Jean-Yves Mollier a montré que l’ouvrage de l’abbé Louis Bethléem (1869-1940), Romans à lire et romans à proscrire (1904), exerçait au début du 20e siècle une très grande influence sur l’édition française dans son ensemble 1.

L’école agit, elle aussi, comme une instance de contrôle, expliquent Viviane Ezratty et Françoise Lévèque 2 : « Parce qu’elle a subi (…) le poids des institutions maîtresses des programmes d’enseignement et gardiennes sourcilleuses de la morale scolaire, la littérature d’enfance et de jeunesse a été tout à fait ouvertement, pendant au moins un siècle et demi, une littérature placée sous surveillance. » Cette pression institutionnelle s’exerce particulièrement sur les éditeurs jeunesse, conscients du rôle de l’école en matière de prescription.

La surveillance politique de la littérature de jeunesse est déjà ancienne. Dès la fin du 19e siècle, le sénateur René Bérenger (surnommé « père la Pudeur ») crée la Société centrale de protestation contre la licence des rues et l’arsenal légal se renforce. Le « consensus moralisateur » 3 présent à la Libération n’a rien d’étonnant, puisque la loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse est l’aboutissement d’un processus d’un demi-siècle.

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La fonction première de ce texte légal, encore en vigueur, n’est pas d’exercer une censure mais d’instaurer d’abord un contrôle fondé sur l’intimidation. L’article 3 prévoit une « Commission de surveillance et de contrôle », dépendant des ministères de la Justice et de l’Intérieur et chargée de surveiller l’ensemble de la production adressée à la jeunesse. Elle reçoit tous les titres à publier et rend des avis, en intervenant parfois auprès des éditeurs, dont elle attend la « soumission à un horizon d’attente normative 4 ».