Cet ouvrage de sociologue échappe agréablement au jargon de la discipline et propose une histoire clairement problématisée de l'Ecole nationale des beaux-arts. Il montre comment cette école est passée, du xixe siècle à nos jours, du conservatisme académique à l'ouverture aux pratiques artistiques les plus avant-gardistes.
Les chapitres sur le xixe siècle ne sont pas vraiment originaux, mais illustrent avec précision le caractère systématique et multiforme de la résistance des enseignants au changement, qui dépasse les seules questions artistiques : leur opposition à l'ouverture de l'école aux femmes ou aux étudiants étrangers est, par exemple, symptomatique. L'auteur invoque, sans surprise pour nous, le « conformisme culturel étroit » des nouvelles couches de la bourgeoisie du xixe siècle en quête de distinction.
Monique Segré, après avoir évoqué ce qu'elle appelle « le sommeil de la vieille dame » qui, de 1920 à 1968, demeure imperméable aux mutations de l'art moderne, donne un récit bref mais éclairant du « chambardement de mai 68 ». La destruction hautement symbolique des moulages antiques et le changement du mode d'attribution des prix de Rome annoncent l'entrée brutale de l'école dans l'ère de la « confusion des repères » propres à l'art contemporain. Confusion qui provoque un relatif embourgeoisement du recrutement, paradoxal après la suppression du concours d'entrée, mais compréhensible en raison de l'incertitude des carrières artistiques.
Le livre se termine sur un beau chapitre sur la vie en atelier, qui fait revivre l'ambiance de ce lieu de travail particulier, montre la qualité de l'investissement des enseignants, et, malgré le point d'interrogation final, semble indiquer qu'il y a encore du plaisir dans la création artistique.