Sujet de société majeur, l’école s’impose comme un « lieu commun » de la littérature contemporaine. Elle traverse des œuvres profondément diverses, fictions ou autofictions, de François Bégaudeau (Entre les murs, 2006) à Daniel Pennac (Chagrin d’école, 2007), de Jean-Philippe Bondel (G229, 2011) à Kaoutar Harchi (Comme nous existons, 2021). On ne s’en étonnera pas. Plus encore qu’à l’orée du 20e siècle, quand Colette marquait l’année 1900 avec Claudine à l’école, tout converge pour faire de la salle de classe un motif romanesque récurrent de ce début de 21e siècle.
Seul collectif capable de rassembler année après année une génération entière, l’école républicaine des années 2020 abrite des élèves aux profils distants, reflétant des inégalités économiques, culturelles et sociales en voie d’aggravation. Obligatoire jusqu’à 16 ans, dotée d’un collège unique, généralement mixte, l’institution scolaire offre ainsi un lieu d’observation unique de la façon dont se nouent dès la prime jeunesse les déterminismes socioculturels et les désirs singuliers, ce qu’autrefois on appelait les destins. Ce qui s’y joue devient à la fois plus crucial et plus crûment lisible qu’avant la réforme Haby de 1975, dans un système d’enseignement encore marqué par le dualisme hérité de la IIIe République (la communale pour les classes populaires, le lycée pour la bourgeoisie cultivée). Effet de génération : pour la plupart, les écrivains d’aujourd’hui ont été scolarisés au sein du fameux « collège unique ». Ils ont forgé là une certaine idée des rapports humains, une image de la société dans laquelle ils vivent ; ils ont noué avec l’institution un lien personnel, ambivalent, ancré dans les souvenirs d’enfance et d’adolescence. De surcroît, nombre d’« écrivains de littérature », selon l’expression employée notamment par le sociologue Bernard Lahire 1, exercent la profession d’enseignant.
Il y a une douzaine d’années, Corinne Abensour et Bertrand Legendre, spécialistes en sciences de l’information et de la communication, estimaient à 17 % la part des enseignants parmi les primoromanciers, ajoutant que 75 % d’entre eux publient au moins un deuxième opus 2. Aucune raison que cette proportion ait décru depuis, or ce trait sociologique influence forcément la production littéraire. Deux points de vue émergent donc, plus complémentaires que contradictoires : celui de l’élève que l’écrivain se souvient avoir été ; celui de l’enseignant que souvent il est (ou a été). Vécue de l’intérieur dans tous les cas, l’Éducation nationale (plus rarement l’école privée) offre un matériau de première main, une source d’inspiration presque évidente.