L'égalité républicaine, un barrage à l'intolérance ? Rencontre avec Serge Guimond

Dans la plupart des pays qui ont connu des attentats ces dernières années, les préjugés racistes ont augmenté. Ce n’est pas le cas en France. Comment l’expliquer ?

Selon vous, qu’apporte la psychologie sociale dans la compréhension et la prévention du racisme ?

Les expériences scientifiques montrent qu’il existe des politiques qui peuvent diminuer les préjugés et les discriminations. En 2016, nous avons publié des recherches sur l’effet des attaques terroristes de janvier 2015 à Paris 1. D’autres travaux existent sur ce sujet, dans un contexte postattentat, par exemple, à New York en 2001. Selon certains auteurs, à New York, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, près de 25 % des personnes d’origine arabe choisies parmi un échantillon représentatif de la population auraient connu des discriminations à cause de leur origine. La plupart de ces études s’accordent à dire que ce genre d’événements accroît les préjugés dans la population générale. C’est exactement ce que les terroristes veulent d’ailleurs. En revanche, notre équipe a montré qu’à Paris en 2015, il n’y a pas eu ce genre de réaction.

Comment votre équipe est-elle parvenue à cette conclusion originale ? En quoi a consisté l’expérience que vous avez menée ?

Des étudiants sont venus passer l’expérience en laboratoire. Ils étaient divisés en deux groupes, l’un de contrôle et l’autre dans lequel on amorçait une vision culturelle républicaine selon laquelle tous les citoyens sont égaux ; qu’importe leur origine ou religion. Tous pensaient que l’objet de l’expérience était l’étude du leadership en entreprise. Nous leur présentions l’organisation dans laquelle ils étaient supposés travailler et leur rôle dans celle-ci. Nous expliquions au groupe contrôle que l’entreprise fictive pour laquelle ils répondaient était une entreprise centrée sur l’excellence ; alors que dans l’autre groupe, nous informions que l’entreprise était centrée sur l’excellence et aussi, qu’elle était très attachée à l’égalité des citoyens (ce qui correspond à la vision républicaine). Puis, ils remplissaient des questionnaires évaluant leur leadership – une tâche de distraction du but réel de l’expérience – et devaient organiser hiérarchiquement une équipe de six employés dont des femmes et des personnes de couleur. Enfin, nous leur soumettions des questionnaires évaluant les préjugés et l’hostilité (par exemple : Pensez-vous que l’immigration est une menace pour la culture française ?). Les attentats sont intervenus durant la période de récolte des données ; donc certains étudiants ont complété le test avant, d’autres après ceux-ci. Nous avons décidé de mesurer la différence entre les représentations collectées avant et après cet événement inattendu. Dans le groupe contrôle, nous avons retrouvé ce qui était observé dans d’autres pays : les préjugés ont augmenté à la suite des attentats. En revanche, le groupe auquel on proposait cette vision d’égalité républicaine a réagi différemment. La tendance générale dans ce groupe était que les préjugés n’augmentaient pas.