« Je me souviens qu’au lendemain de mes premières règles, j’avais 12 ans, ma mère est allée chercher dans mes affaires ma culotte tachée de sang. Je l’avais rangée pour la laver moi-même et elle l’a brandie au milieu des invités (…). Et cette pensée qui insiste : “Ce serait mieux d’être morte.” » Cette confidence est celle d’une « petite fille de 63 ans, agrégée de sciences, retraitée et psychothérapeute », en pleurs devant Pierre Kammerer, son analyste. Micheline est l’une des huit patient(e)s dont le psychanalyste restitue le « travail ». Leur point commun est d’avoir souffert de la haine de ceux qui étaient censés les aimer et de s’être enfermés dans un silence destructeur. D’où l’importance de l’analyse : « Ce qu’un humain ne sait pas avoir vécu, ce par quoi il ne sait pas être tenu ou contraint, seul un autre humain (et c’est notamment la fonction de l’analyste) peut le lui restituer après l’avoir éprouvé, souffert et mis en mots. » Mais si les mises en actes auxquelles la compulsion de répétition soumet (un) sujet se nourrissent des représentations inconscientes traumatogènes issues de son histoire, l’auteur indique bien que, dans la répétition, interviennent également des représentations issues d’événements survenus dans les deux lignées parentales du sujet. Comment une histoire qui n’est pas directement la sienne peut-elle concerner un sujet ? Comment en devient-il, à son insu, son héritier ? Comment est-il amené à remplir « un rôle écrit avant-hier dans un scénario dont il n’est pas l’auteur » ? Comment les agissements d’un enfant de 6 ans – Florian en l’occurrence – se trouvent-ils influencés par un événement survenu alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère ? Se dégager de la répétition transgénérationnelle implique un long travail de reconstruction. « Ce qui est à dévoiler est tantôt un meurtre psychique tantôt un comportement honteux. Il s’agit de blessures, de pertes, de trahisons, de délits et de crimes non instruits qui, d’avoir été tus, n’ont pas eu le droit d’exister avant d’être oubliés. »
L'Enfant et ses meurtriers
L’Enfant et ses meurtriers . Psychanalyse de la haine et de l’aveuglement , Pierre Kammerer, Gallimard, 2014, 352 p., 24,50 €.