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Quand on parle de « maladie de la mémoire », la première pathologie qui vient aujourd’hui à l’esprit est bien sûr la maladie d’Alzheimer. Outre les représentations très négatives attachées à cette maladie, un stéréotype durable associe à la perte de la mémoire la perte de l’identité, comme si ces personnes finissaient par oublier qui elles sont. Cette idée est largement fausse ; ces patients conservent un sentiment d’identité, une sorte de noyau dur de leur « self ». Demandez à des patients à un stade modéré à sévère de la maladie de décliner leur identité : « Comment vous appelez-vous ? », « Où êtes-vous né ou née ? », « Quelle était votre profession ? » Vous aurez des réponses claires et justes. Ces patients (incapables de faire référence à une activité quinze minutes après l’avoir effectuée) savent qui ils sont. Alors, d’où vient cette idée persistante que perte de la mémoire vaut perte de l’identité ?
Tout d’abord, il existe bien en neuropsychologie des amnésies d’identité, syndrome rare qui marque nos imaginaires : la littérature et le cinéma se sont nourris de ces cas spectaculaires de perte totale des souvenirs et connaissances personnelles, à la suite, par exemple, d’un choc à la tête, où le héros ne sait plus comment il s’appelle et ce qu’il a vécu. Bien évidemment, dans les fictions, toute la mémoire revient au héros grâce à un indice sensoriel (comme une odeur) ou un autre trauma. Dans la réalité, souvent de manière bien moins spectaculaire, la plupart des patients récupèrent leurs souvenirs et connaissances sur eux-mêmes. Alors comment expliquer que la maladie d’Alzheimer soit autant associée à l’idée de perte d’identité ?
C’est une pathologie neurodégénérative, qui se caractérise par une atteinte massive de la mémoire épisodique (souvenirs des évènements vécus dans leur contexte temporel et spatial), et parfois d’autres fonctions cognitives (attention, concentration, langage, motricité, perception). Certes, les patients perdent de la mémoire autobiographique épisodique, et ceci de façon précoce, mais les souvenirs d’évènements importants, comme un changement de vie, sont mieux rappelés. Comme ils ont des difficultés pour récupérer des détails, quelle que soit la période de vie, il y a une désintégration dans le temps de leurs souvenirs épisodiques autobiographiques. Concernant les connaissances personnelles sur soi, le déclin constaté est plus discret et moins précoce. Autrement dit, il y a une plus grande résistance des connaissances sur « soi », donc ils peuvent rendre compte de certaines caractéristiques de leur self (le lieu de naissance, le premier métier exercé, les plats préférés…).