L'épopée du photojournalisme

Les reportages de guerre ont donné ses lettres de noblesse au photojournalisme. Jusqu’à ce que les conflits modernes sonnent le glas de cet exercice roi du journalisme, aujourd’hui transformé en discipline artistique.

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« Voir la vie, voir le monde, être témoin visuel des grands événements ; observer les visages des pauvres et les gestes des puissants ; voir l’étrange – machines, armées, foules, ombres dans la jungle et ombres sur la Lune ; voir le travail de l’homme – ses peintures, ses tours et ses découvertes ; voir des choses cachées derrière des murs et des chambres, des choses dangereuses qui apparaissent ; voir et prendre plaisir à voir ; voir et être envahi ; voir et apprendre ; ainsi, voir et être montré sont-ils maintenant le vœu et la nouvelle attente de la moitié du genre humain. »

Pour son premier éditorial, le magazine Life (23 novembre 1936), archétype du news magazine fondé sur le photojournalisme, signe une profession de foi visionnaire. À son apogée, dans les années 1960, le titre vend 8 millions d’exemplaires dans le monde. Il symbolise l’âge d’or du reportage photo, phénomène de masse du premier vingtième siècle médiatique.

L’arrivée du Kodak

L’émergence du photojournalisme est habituellement située dans les années 1930, décennie qui voit naître les magazines Vu (France, 1928) et Life. Pourtant, au 19e siècle déjà, la naissance de la photographie inspire les journalistes. Plusieurs projets éditoriaux consacrent déjà les reportages de guerre. Leurs premiers terrains : la guerre de Crimée (1853-1856), puis la guerre de Sécession (1861-1865), même si la technique ne permet de capturer que des scènes statiques. Ça n’est qu’en 1895, avec l’arrivée en 1895 du Kodak de la firme américaine Eastman, que les photographes prennent des scènes sur le vif. L’appareil remplace alors les lourdes caméras et leurs plaques de verre. En termes de fabrication, l’héliogravure, technique d’impression apparue au début du 20e siècle, assure une bonne qualité de reproduction des titres photographiques, comme le quotidien français Excelsior (1910) ou l’Illustrated Daily News (New York, 1919). Le bélinographe, appareil de transmission inventé en 1925, permet aux journalistes d’envoyer leurs images par radio, pour publication dans le monde entier. La même année apparaît l’appareil Leica, qui utilise la pellicule de 35 mm en rouleaux. Offrant une plus grande liberté d’action, il équipe progressivement les photographes sur le terrain.

La Première Guerre mondiale est le premier théâtre d’élaboration du photojournalisme, comme l’a notamment montré Joëlle Beurier. À rebours du cliché d’une censure omniprésente entre 1914 et 1918, la presse illustrée française a bel et bien rendu compte du conflit. L’hebdomadaire Le Miroir, notamment, publiait des photos envoyées par ses lecteurs. Il a permis de raconter aux Français la guerre telle qu’elle était vécue par leurs frères, leurs parents ou leurs amis. Dans l’après-guerre, années marquées par les images traumatisantes du conflit, les magazines conçoivent des maquettes innovantes, avec une mise en scène de l’image et une recherche esthétique, qui deviendront l’un des critères du photojournalisme. Avec ses cinq magazines d’information visuelle : Vu, Voilà, Regards, Photomonde et Match (ancêtre de Paris Match), la France des années 1930 sert de modèle aux médias du monde entier. Cultivant leur ligne éditoriale propre, chacune de ces publications rend compte de la marche du monde, au plus proche de l’événement, avec des textes de qualité qui voisinent des articles plus frivoles et « people ». Les premières vedettes du genre sont les Hongrois André Kertész, célèbre pour ses vues spectaculaires de la vie quotidienne en plongée, et Brassaï, grand amateur de la vie nocturne parisienne. Dans les années 1930, ils seront suivis par les Français Willy Ronis, Édouard Boubat, et Robert Doisneau, qui pratiquent à la fois la photo d’actualité et l’observation des « petites gens » au quotidien. Mais c’est le reportage de guerre qui donne au genre ses titres de noblesse, à commencer par la guerre d’Espagne.