L'expérience de la prison de Stanford

Des étudiants ordinaires jouent le rôle de gardiens ou de prisonniers, et s’identifient tellement à leur personnage que l’expérience doit être interrompue… L’épisode est fameux, mais ses conclusions scientifiques sont loin d’être consensuelles.

Une prison extraordinaire

Le 17 août 1971 débutait l’étude la plus célèbre mais aussi la plus controversée de la psychologie sociale du XXe siècle. Dans le cadre d’une « recherche psychologique sur la vie en prison » pour illustrer l’influence surdéterminante des circonstances sociales sur les conduites individuelles, Philip Zimbardo (1933-) a sélectionné 21 personnes parmi 75 candidatures pour prendre part à une simulation de la vie carcérale pendant une durée de deux semaines. Seules étaient retenues les personnes exemptes de problèmes de santé et de tout handicap physique ou social, et dont le casier judiciaire était immaculé. La rémunération prévue était de quinze dollars journaliers. Zimbardo a attribué au hasard à la moitié des participants le rôle de prisonnier, et aux autres le rôle de gardien de prison, et a lui-même endossé le statut de superviseur de cet établissement pénitentiaire d’un genre inédit. Pour l’occasion, une partie du sous-sol du département de psychologie de Stanford a été transformée en locaux ressemblant fonctionnellement à une prison. On expliquait aux gardes qu’ils pouvaient instaurer les règles qu’ils voulaient, mais devaient d’abstenir de toute maltraitance physique. Les participants destinés au rôle de prisonniers étaient appréhendés à leur domicile par des policiers de l’unité de Palo Alto, mobilisée pour l’occasion, avant d’être fichés et photographiés. Le motif annoncé de leur arrestation était un vol à main armé. On leur remettait une tunique, portée sans sous-vêtements, une cagoule, et une chaîne était fixée à leurs pieds. Un nécessaire de toilette était également attribué. Les prisonniers seraient désormais désignés par un numéro d’identification, tandis que les gardiens étaient gratifiés d’un uniforme adéquat et de divers accessoires dont une paire de lunettes de soleil réfléchissantes pour prévenir les contacts oculaires avec leurs détenus.

Malgré le caractère apparemment artificiel de la situation, celle-ci s’est avérée très impliquante pour tous les protagonistes, y compris Zimbardo lui-même. Les enregistrements vocaux réalisés auprès des prisonniers ont montré que 90 % de leurs conversations concernaient la prison (projets d’évasion, échanges au sujet des visites ou des mauvais traitements subis, par exemple). Les conversations des gardes durant leurs temps de pause portaient elles aussi essentiellement sur le fonctionnement de la prison. Au fil des jours, les prisonniers ont très rapidement fait l’expérience de frustration, de sentiment d’isolement, de désespoir et d’apathie, typiques de vrais prisonniers. Quant aux gardiens, ils ont adopté sans grands délais un répertoire de comportements autoritaires et brutaux, insultant les prisonniers et exerçant des mauvais traitements envers eux. Cinq prisonniers ont ainsi dû être relâchés prématurément du fait de troubles émotionnels caractérisés, et l’un d’eux a déclenché un eczéma psychogène. Les gardiens semblaient véritablement avoir pris goût à leur rôle, imaginant de multiples brimades dont les prisonniers étaient ensuite accablés (privation de sommeil et de douches, réalisation de tâches dégradantes comme nettoyer les toilettes les mains nues, exercices physiques, punitions arbitraires…). Toutefois, certains plus que d’autres semblaient se délecter de l’abus de pouvoir qui s’était installé dans le cadre de leur activité. Le deuxième jour de l’expérience, une révolte des prisonniers a conduit les gardes à les maîtriser avec rudesse en utilisant des extincteurs. L’expérience, qui devait durer deux semaines, a finalement été arrêtée après 6 jours par Zimbardo après de graves débordements et dans des circonstances extrêmement tendues.

– Bègue, L., & Desrichard, O. (2013). . Bruxelles : De Boeck. – Carnahan T., Mc Farland S., (2007). « Revisiting the Stanford Prison Experiment : Could Participant Self-Selection Have Led to the Cruelty ? » , 33, p. 603-614. – Haslam, S. & Reicher, S. (2012). « Contesting the “nature” of conformity : What Milgram and Zimbardo’s studies really show ». 10, 11, e1001426..