« Je m’intéresse à l’avenir car c’est là que j’ai choisi de passer mes derniers jours. » Cette boutade de Woody Allen en dit certainement plus long qu’on le pense sur le contexte de la recherche historique actuelle, à savoir la façon dont on peut écrire le passé et projeter un futur proche à partir de préoccupations singulières. Adepte de l’autodérision et féru de psychanalyse, W. Allen incarne une tendance de nos sociétés contemporaines : la montée en flèche des valeurs liées à l’individualisme. L’avenir, donc, bel objet de réflexion propre à angoisser l’humoriste qui n’est pas sans partager avec l’homme de la rue la crainte existentielle du lendemain. La légèreté dédramatisante de son discours en fait, on l’aura saisi, tout le succès. L’avenir, sujet dont s’est également saisie depuis longtemps la philosophie de l’histoire. En point d’orgue, la fameuse question du sens, de la destinée, sur laquelle ont planché nombre de bacheliers, avec plus ou moins de bonheur. Que peut nous apprendre l’histoire ? A-t-elle un sens ? L'histoire de la pensée n'est guère avare sur cette question. Ainsi, pour Platon, s’inspirant d’Hésiode, l’histoire de l’homme est celui du déclin, passant de l’âge d’or à l'âge du bronze puis du fer. Dans la pensée judéo-chrétienne, l’histoire humaine est censée accomplir le dessein de Dieu, dessein qui conduit à la Jérusalem céleste.
Les philosophies laïques de l’histoire, de Johann Herder à Karl Marx, semblent, pour leur part, établir un principe général rendant raison de l’histoire, tout en pointant la direction que celle-ci doit suivre : réalisation de l’esprit absolu chez Georg Hegel, fin de l’aliénation des classes dominées chez Marx… Il s’agit dans chaque cas de laïciser le sens théologique de l'histoire.
Hegel voit dans l’avènement final d’un État rationnel la rencontre des intérêts particuliers et universels, grâce à l’équilibre des droits et des devoirs des citoyens.
Pour Marx, « l’histoire, jusqu’à nos jours, n’est que l’histoire de la lutte des classes ». Mais il faut bien souligner l’échec des idéologies du progrès : le marxisme a pris les traits du stalinisme, la barbarie nazie apparaît comme l’une des dérives possibles du « progrès », les questions écologiques sonnent le glas du rêve de la modernité : rendre l’homme « maître et possesseur de la nature ». Comment penser le sens de l’histoire après la dérive des grandes idéologies ? S’inspirant de la lecture que fait Alexandre Kojève de Hegel, Francis Fukuyama publie en 1992 un livre controversé : La Fin de l'histoire et le dernier homme, dans lequel il défend l’idée que la progression de l’histoire humaine, envisagée comme un combat entre des idéologies, touche à sa fin avec le consensus sur la démocratie libérale depuis la fin de la guerre froide. Il y aurait bien sûr toujours des événements, mais pas d’évolution des principes de l’organisation humaine qui sont aujourd’hui définitivement acquis. Mais n’est-ce pas une vision bien idyllique de la fin des idéologies ?
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Les grandes questions de la philosophie
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