L'action de l'homme sur l'environnement ne date pas d'aujourd'hui, ni d'hier. Le signal en fut donné lorsque les populations néolithiques? du Proche-Orient, les premières à vivre de plantes cultivées et d'animaux domestiques, transformèrent certains espaces en champs ou pâtures, à partir de 9000 av. J.-C. En Occident, c'est plus tardivement, dans le courant du vie millénaire, que ces fermiers s'installèrent et commencèrent à brûler les forêts postglaciaires pour ensemencer les clairières ainsi dégagées ou pour les transformer en prairies destinées à l'alimentation du bétail.
Auparavant, l'homme s'était contenté de se soumettre aux rythmes climatiques que la nature lui imposait, se moulant dans son environnement sans le transformer réellement, à l'exception des prélèvements carnés ? chasse, pêche ? ou végétaux ? cueillette ? qu'il effectuait pour se nourrir. Tout au plus peut-on penser que les derniers chasseurs-cueilleurs du mésolithique brûlaient à l'occasion certaines pièces de forêts pour mieux attirer les grands herbivores sur des espaces herbeux qui favorisaient leurs stratégies de chasse. Il n'est d'ailleurs pas assuré que ces fréquents incendies qui touchèrent alors la chênaie atlantique fussent forcément d'origine humaine : dans la moyenne vallée du Rhône, ils purent être liés à des phases d'assèchement et de réchauffement 1. Un autre recul de la nature face à la culture conquérante avait eu lieu avec la domestication du chien, au cours du magdalénien.
Avec l'avènement des premières communautés paysannes, l'impact de l'homme sur l'environnement inaugura une première rupture dans la relation entre ces deux acteurs : de dominés, les Homo sapiens devinrent dominants. Ils ont pris conscience de leur aptitude à transformer la matière vivante : au Proche-Orient, ils ont obtenu des céréales à épis résistants et à grains plus gros, assujetti caprins, bovins, porcins, et transformé leur morphologie. Par la domestication, ils ont ainsi créé de « nouvelles » espèces, inaugurant une forme d'artificialisation de leur environnement. Dans la foulée, le paysage va aussi subir leur loi. Les espaces naturels commencent à céder la place à un décor marqué par la main de l'homme. Dans les régions à dominante forestière s'insinue un grignotage progressif des étendues boisées, qui n'aura de cesse de s'étendre. Les activités anthropiques? vont peu à peu métamorphoser l'environnement.
Ne croyons pas pour autant cette rupture brutale. Sans doute, tout au long des trois ou quatre millénaires du néolithique, le face-à-face homme/nature connut-il, en fonction des lieux et du temps, un jeu subtil d'emprises et de reconquêtes successives de l'un et de l'autre. Les débats sont vifs, au sein de la communauté des environnementalistes et des archéologues, sur la part respective des sociétés humaines et des effets du climat dans les transformations des milieux holocènes. Si la « nature » trouva dans ses réserves les moyens de contrer les effets de la première anthropisation et contraignit les sociétés à certains reculs, l'engrenage de la maîtrise humaine sur le milieu était lancé, de façon irréversible. La montée en puissance démographique des millénaires postnéolithiques accentua le processus.
Le néolithique : asservir le milieu ou changer de vie ?
Une théorie fut longtemps en vogue chez les préhistoriens. Elle voyait le néolithique comme une échappatoire mise au point par l'homme pour déjouer les pièges d'une nature contraignante. Le réchauffement postglaciaire, à partir du Xe millénaire, et les mutations qu'il engendra dans les faunes et les flores, l'aridification que subirent certaines parties du monde auraient poussé les hommes préhistoriques à se soustraire aux caprices de l'environnement en inventant d'autres formes d'alimentation, reproductibles au gré des besoins : agriculture et élevage. Cette thèse accordait la priorité aux phénomènes écologiques : l'homme devait s'adapter ou disparaître.