Il était beau, intelligent, et ses longs cheveux blonds retombaient sur ses épaules alors qu’il cheminait de par le vaste monde pour le civiliser. Qui se souvient de Rahan, le fils des âges farouches, héros de bande dessinée et infatigable promoteur de la fraternité aux temps préhistoriques ? C’est pourtant à travers l’archétype de Rahan que se profile une autre image, moins idyllique. Notre imaginaire national s’est longtemps complu à nous présenter comme les héritiers de Cro-Magnon, humain surdoué né en terre de France.
C’est sous un abri-sous-roche de Dordogne, à la Chapelle-sous-Eyzies, au lieu-dit Cro-Magnon, qu’est apparu au grand jour notre ancêtre présumé. Un homme préhistorique bien moderne, un vrai sapiens. C’était en 1868, au temps où l’Église défendait l’idée que le monde était vieux de six millénaires face aux balbutiantes sciences de la géologie, de la biologie et de l’évolution. Au temps où les os de mammouths découverts lors des chantiers étaient présentés comme témoignages du passage des éléphants d’Hannibal en route vers Rome. Au temps où l’Allemagne se découvrait elle aussi un homme préhistorique, en vallée de Neander. Ce néandertalien, longtemps figuré comme une version primitive de l’humanité, faisait opportunément écho en France aux idées colportées sur la supposée « race » germanique – à laquelle nos soldats devaient désavantageusement se mesurer en 1870. Car nous étions aussi au temps où les pays européens, engagés dans une compétition pour la suprématie mondiale, construisaient des récits nationaux permettant de créer des communautés identitaires, de créer des appartenances nationales même là où l’on parlait encore une pluralité de langues diverses.