L'orientation déboussolée

Miné par ses contradictions internes, le modèle d’orientation français semble de moins en moins crédible.

Permettre à chaque élève (…) de développer son sens de l’engagement et de l’initiative et d’élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnelle. » Telle est la promesse du « parcours avenir » dans lequel s’inscrit depuis 2016 l’orientation des collégiens et des lycéens. Pour reprendre les termes de la loi d’orientation de 2013, il s’agit de « rendre les élèves acteurs dans la construction de leur projet d’orientation ». Mais cette vision bienveillante de l’orientation correspond assez peu à la réalité : si l’institution prétend accompagner les élèves dans l’élaboration progressive d’un projet de vie, les jeunes et leurs familles peuvent vérifier à chaque conseil de classe que ce sont les résultats du moment qui déterminent en priorité la suite de leur carrière scolaire. Ce décalage entre discours et réalité révèle que le dispositif d’orientation est en fait soumis à deux impératifs contradictoires.

Ce hiatus trouve son origine dans la politique de démocratisation de l’enseignement secondaire mise en œuvre au début de la Ve République. Dès 1959, il s’agit d’inciter les jeunes Français à poursuivre massivement des études pour former les élites capables de porter l’effort de modernisation et de croissance du pays. Après que l’obligation scolaire a été portée à 16 ans, les formations techniques supérieures ont été massivement développées, les maths ont pris la place du latin comme critère d’excellence, et les services d’orientation, jusque-là réservés à l’enseignement technique, élargis à l’ensemble de la population scolaire. Objectif : offrir à chaque élève l’orientation vers le meilleur diplôme en fonction de son niveau scolaire et des besoins supposés du marché de l’emploi, dans une logique d’adéquation formation-emploi 1. Ce projet était rendu possible par une particularité de la législation du travail française, à savoir l’association explicite entre la qualification et la rémunération des salariés et le niveau de diplôme.