On revient de loin : « le darwinisme », c’est-à-dire le message scientifique de Charles Darwin sur l’évolution des espèces, était confondu jusqu’à récemment par bien des intellectuels français avec le « darwinisme social », sa traduction idéologique par Herbert Spencer qui considérait la lutte pour la vie comme le modèle naturel du capitalisme 1. Or si Charles Darwin a insisté sur la compétition dans le monde animal parce que c’était le plus évident, les anthropologues Pierre Kropotkine puis William Hamilton l’ont prolongé en montrant que l’autre force de l’évolution sociale était la coopération 2. C’est cette vision plus équilibrée qui domine dans les laboratoires de psychologie animale et d’éthologie où l’altruisme, jusqu’alors réservé à notre espèce, est aujourd’hui étudié. Même le classique débat lamarckisme contre darwinisme est dépassé et Lamarck réhabilité, quand on s’est rendu compte ces vingt dernières années avec « l’épigénétique » que l’expression des gènes est modulée par le contexte environnemental : la génétique n’est plus basée sur le tout ou rien, car la transmission héréditaire se révèle plus complexe et nuancée.
Un monde de coévolutions
On sait depuis plus d’un siècle que les lichens sont constitués par l’association d’une algue et d’un champignon, que les coraux hébergent des algues unicellulaires. Ce qui est nouveau, c’est que les animaux et plantes qui vivent en symbiose sont partout dans la nature, et même dans chacune de nos cellules, avec trois organismes associés (virus-bactérie-archée) 3. Notre système digestif renferme des milliards de bactéries qui sont indispensables pour assimiler nos aliments : cette flore intestinale se modifie selon notre condition physique. Nos parasites tels que poux et puces se sont adaptés à leur hôte au fil des millénaires, et continuent à évoluer puisqu’on apprend que les produits répulsifs de nos parents ont perdu leur efficacité, les poux étant devenus résistants en quelques dizaines d’années et de nouveaux produits étant devenus nécessaires pour s’en débarrasser. La coévolution homme-animal s’étend des microbes aux grands mammifères mais elle n’est pas nécessairement positive (cf. figure 1) 4.
L’histoire des animaux domestiques fournit les exemples les plus instructifs depuis que les analyses ADN ont permis de dater ces arrivées successives dans nos sociétés. Par exemple, les restes de chats les plus anciens que l’on ait pu trouver ont 9 500 ans, et il est peu probable que l’on en trouve de beaucoup plus anciens. En effet, nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs et la sédentarisation des humains s’est produite vers 10 000 ans avec l’agriculture et l’élevage. Or le chat a été domestiqué – c’est-à-dire enlevé à son milieu naturel du Moyen-Orient pour être nourri par l’Homme –, afin d’empêcher que les réserves de grains ne soient mangées par les rongeurs, ce qui aurait signifié la famine en hiver pour nos ancêtres. Du fait que sa fonction était avant tout d’attraper des souris, la sélection par l’Homme sur les chats a été bien moindre que celle effectuée sur les chiens : la multiplication des races félines est un phénomène récent, les chats étant devenus ces dernières années de purs animaux de compagnie. Le chat domestique (Felis catus), originaire de pays chauds, s’est adapté avec notre aide aux régions tempérées qu’il parvient à coloniser même quand il n’est plus nourri par l’homme (« chat haret »). Or il existait une autre espèce chez nous, le chat sauvage (Felis silvestris), un peu différent par la morphologie et le comportement, qui régresse devant cet immigrant amené par l’Homme…