La découverte du social. Naissance de la sociologie en France (1870-1914)

Laurent MucchielliLa Découverte, 560 p., 198 F, 1998.

Comment est née la sociologie française ? A priori, la question ne concerne qu'une étroite sphère d'érudits intéressés par un épisode (révolu) de l'histoire des sciences. Qu'on ne s'y méprenne pas. L'enjeu est plus important. D'abord parce que la sociologie est une discipline où les concepts et théories légués par les auteurs classiques continuent d'inspirer les sociologues actuels. Dès lors, il est toujours bon de s'intéresser aux contextes social et intellectuel dans lesquels ont été forgées les théories pour en saisir l'esprit, le projet et la portée exacte.

Mais il existe encore une raison plus fondamentale. L'avènement de la sociologie comme science autonome marque une révolution dans la façon de penser l'humain. Qu'il s'agisse d'étudier les comportements criminels, le suicide, la religion ou les inégalités sociales, l'approche sociologique possède une perspective spécifique. Elle s'attache à dévoiler les facteurs proprement sociaux qui expliquent ces conduites ; le crime, la religion ou les inégalités ne pouvant être simplement expliqués par des causes « naturelles » (déterminisme biologique) ou par la psychologie individuelle. Voilà pourquoi la naissance de la sociologie s'identifie, selon Laurent Mucchielli, à « la découverte du social ».

L'autonomisation de la discipline comme science et comme discipline universitaire s'est faite, selon l'auteur, en deux temps.

La première phase correspond à la période durant laquelle la sociologie française s'émancipe d'une anthropologie naturaliste qui domine les sciences sociales pendant les années 1870. La seconde est celle où la sociologie s'institutionnalise et trace ses frontières avec des disciplines voisines, et parfois concurrentes comme l'histoire, la géographie ou la psychologie.

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Reprenons l'histoire plus en détail. Dans les années 1870, les sciences sociales naissantes sont, en France, sous l'influence de l'anthropologie physique dont Paul Broca (1824-1880) est la figure de proue. Pour le fondateur de l'école d'anthropologie, les différences et les inégalités entre les peuples s'expliquent par le déterminisme de chacune des grandes « races » (Blancs, Jaunes, Noirs) de la planète. Sur le plan individuel, les différences de comportements sont reliées aux configurations du cerveau. Paul Broca, (qui fut le premier à isoler l'aire cérébrale comme siège du langage) est un adepte de la «crâniologie». Sur cette base, la plupart des faits humains - du crime au mariage, de la culture aux inégalités des peuples - peuvent s'expliquer en termes biologiques.