Elle a 10 ans. Ce soir encore, après l’avoir battue, il la fait asseoir à table et jette dans une assiette une omelette froide, un yaourt, du pain, de l’eau et de la salade. « Tu ne sortiras de table que lorsque tu auras tout fini. Tout. Y compris la sauce. » Quand elle lui demande, en larmes, ce qu’elle a fait pour mériter de souffrir à ce point, le père lui répond le plus calmement du monde : « Tu es pire qu’un chien. »
Avouons-le, ce n’est pas sans une certaine réticence que nous avons lu jusqu’au bout ce récit térébrant du calvaire enduré par Céline Raphaël. Frappée, humiliée des années durant par un père qui veut en faire une pianiste prodige, elle a dû jouer de cet instrument 45 h par semaine. Difficilement supportable, ce livre est cependant nécessaire, ne serait-ce parce qu’il lève le voile sur un sujet encore tabou : la maltraitance infantile dans les milieux sociaux aisés. La petite fille travaille, et travaille encore, remporte les concours de piano pour ne plus être battue. Mais ça ne suffit pas. Ça ne suffit jamais. Dans l’entourage de la gamine, personne ne veut voir. La maltraitance, c’est chez les pauvres, ailleurs, bien loin d’ici, pour les petits enfants qu’on oblige à transporter des briques ou des paniers de sel. Pas chez les enfants de notables.