La question du régime politique optimal pour le marché ne va pas de soi pour la plupart des économistes libéraux, mais le marché et la démocratie sont en général perçus comme faisant bon ménage : selon Amartya Sen, la démocratie permet le développement du marché ; pour Jean-Paul Fitoussi, la démocratie et le marché sont deux forces antagonistes et complémentaires qui s’équilibrent l’une et l’autre ; c’est notamment l’objectif de l’Union européenne de trouver une conciliation entre les deux, selon Éric Carpano et Gaëlle Monti ; pour le philosophe américain John Rawls, la démocratie va avec le marché, mais les institutions démocratiques doivent agir en faveur de plus d’égalité. Il est en tout cas entendu que les libertés politiques et le libre marché forment un bon compagnonnage.
Pourtant, on a tendance à l’oublier, une tradition économique occidentale moins visible défend au contraire la parfaite compatibilité du marché avec la dictature. On peut remonter à Carl Schmitt et à sa théorie du « libéralisme autoritaire » (la formule est de l’un de ses contemporains, Hermann Heller). Ce tristement célèbre théoricien du droit et fervent nazi, donna une conférence en 1932 devant un parterre de patrons d’industrie, quelques mois avant l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir. Il y théorisait la nécessité d’un « État total » : contre l’État social interventionniste et le régime parlementaire qu’il haïssait et trouvait « faible », il souhaitait l’instauration d’un régime belliciste et autoritaire, incitant à « renoncer aux conceptions libérales traditionnelles de la liberté », et défendant, en même temps, une liberté totale en matière économique 1.