«La démondialisation n'est pas pour demain.» Entretien avec Pierre-Noël Giraud

Contre ceux qui prophétisent la fin de la mondialisation, l’économiste Pierre-Noël Giraud estime que la globalisation va continuer malgré des soubresauts géopolitiques de plus en plus nombreux.

Comment la globalisation évolue-t-elle ?

Ce qu’on appelle « la » globalisation correspond en fait à trois choses différentes mais étroitement liées : la globalisation numérique, la globalisation des firmes et du commerce mondial, et la globalisation financière. Dans sa dimension internationale, ce tournant est né d’une convergence stratégique entre les États-Unis et l’Europe d’un côté et la Chine de l’autre. Les firmes occidentales avaient intérêt à s’implanter en Chine pour profiter d’un rapport qualité/coût des employés bien plus rentable et d’un très vaste marché intérieur. La Chine avait intérêt à attirer les investissements étrangers afin d’acquérir très rapidement des technologies qui lui permettent de rattraper l’Occident.

On a ainsi connu une séquence de « globalisation libérale » de quarante ans fondée sur le libre-échange, un système financier mondial, des investissements à l’étranger et des délocalisations favorisées, la constitution de chaînes de valeurs mondiales… Cette séquence se termine à la fin des années 2010 avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ou encore avec le Brexit, qui force l’Europe à se redéfinir, mais fondamentalement à cause de la montée en puissance de la Chine. On passe d’une complémentarité stratégique à une logique de compétition, et très vite d’affrontement, entre l’Occident et la Chine.

Quels changements anticipez-vous d’ici à 2050 ?

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Parce que maîtriser le numérique est devenu essentiel pour les États et les firmes, la globalisation numérique va se fragmenter. On va très probablement voir émerger deux zones, de même niveau technologique et économique, dans lesquelles les bases et les flux de données seront étroitement encadrés : les États-Unis et la Chine. Cependant, les États auront du mal à contrôler totalement l’usage du Web par leurs populations : des « informations » parviendront toujours à circuler par certaines applications, continuant à installer le sentiment d’un « village global ».

La globalisation des firmes, elle, risque d’être affectée par les suites de la pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine et l’intense rivalité Chine-Occident, avec une volonté des États-Unis et de l’Europe de relocaliser un certain nombre d’entités considérées comme stratégiques, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle, des composants électroniques, de la santé voire de l’énergie. Ce sera du moins leur intention affichée car relocaliser aura à chaque fois un coût immédiat, sans certitude de bénéfice à plus long terme. Quant à la globalisation financière, elle me paraît la moins susceptible d’être affectée car les marchés de capitaux chinois restent malgré tout relativement communicants avec les marchés globaux et ont intérêt à continuer de l’être.