La force du local, la fragilité d'une conscience globale

Le monde est devenu global. Les individus en ont conscience, ou pas. Ce qui conduit les chercheurs à concevoir deux modèles.

Les processus et les défis globaux, les interconnectivités globales sont partout ; elles se multiplient sans cesse. Si ces phénomènes offrent des opportunités potentiellement favorables, ils comportent aussi des risques et des dangers, parmi lesquels on peut citer l’insécurité de l’emploi et des revenus à l’échelle mondiale ; le fossé croissant entre les nations les plus riches et les nations les plus pauvres, avec son cortège de risque de guerres génocidaires et de violences urbaines ; les menaces d’anéantissement environnemental et de pandémie ; la raréfaction grandissante des ressources en eau, nourriture et minerai ; l’essor des migrations de masse, du crime transnational et du terrorisme ; et bien d’autres encore.

Pour faire face à ces dangers, il n’existe pas qu’une seule solution, mais il est certain qu’une des nécessités premières est de s’engager dans une collaboration accrue : inter-nationale, inter-ethnique, religieuse mais aussi collaboration de classe. Pourtant, bien que nous vivons d’ores et déjà des vies parfaitement globales confrontées à des forces puissantes, nos actions sont la plupart du temps gouvernées par le caractère privé, immédiat et local de nos expériences. Tout se passe comme si nous avions les plus grandes difficultés à penser, à ressentir et à agir en accordant au global une importance réelle, et en imaginant qu’il puisse un jour en avoir plus que celle que nous accordons à notre situation locale. Peut-être est-il pertinent de considérer que nous avons affaire à deux versions tout à fait différentes du « global ».

 

Scénario I.

La société mondiale existe déjà : il s’agit d’une totalité, vaste et dense, de relations sociales qui prospèrent hors du cadre national. Par là même, les individus, les groupes sociaux, les réseaux ou les organisations impliqués dans ces processus construisent d’épais lacis de relations sociales. Les expériences culturelles rendues possibles par le consumérisme et le pouvoir des marques mondiales, auxquels il faut ajouter l’impact des mass media et les expériences acquises sur Internet ou au cours des voyages touristiques, s’infiltrent dans nos vies et donnent naissance à ce qu’Ulrich Beck appelle le processus de cosmopolitisation, c’est-à-dire l’internalisation quotidienne et superficielle de fragments culturels.

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On peut toutefois soutenir que, en dépit des nombreuses expériences et menaces communes qui relient leurs destins, la grande majorité des habitants du globe ne peuvent ou ne veulent pas encore penser, ressentir ou se comporter – ne serait-ce qu’un peu – comme si l’existence du monde comme un tout avait de l’importance, et/ou comme si la vie de gens inconnus à l’autre bout du monde leur imposait parfois une certaine responsabilité.

 

Scénario II.

Il existe peut-être une seconde version, très différente, dans laquelle le global comprend de plus en plus un monde agissant « pour soi », selon l’expression de Roland Robertson 1. Un monde rendu possible par le partage d’une conscience globale. Afin de s’engager clairement dans cette direction, cette société mondiale très différente devra entraîner une masse critique, et croissante, d’agents désireux et susceptibles, parfois seuls, parfois en coopération les uns avec les autres, de considérer que la vie des autres, y compris les plus éloignés de nous, a de l’importance, et que la planète – ainsi que ceux qui y habitent – a des besoins légitimes qui méritent notre attention et notre soutien.