La France au miroir de son passé

Face aux guerres et conflits, l’État a encouragé l’oubli, avant de cultiver la mémoire. Mais le souvenir suffit-il à apaiser les tensions sociales ?

Traditionnellement, la politique française favorisait l’oubli après des événements traumatiques qui divisaient la société. Oubli toujours relatif puisque les individus restaient porteurs de leur propre mémoire, mais ces politiques témoignaient d’une volonté d’apaisement des sociétés, dont l’apogée était souvent marqué par des lois d’amnistie générale. Les exemples historiques ne manquent pas : en 1791 après la Révolution française ; quelques années après la répression sanglante de la Commune de Paris ; en 1951 pour couvrir les faits de collaboration. Dernier exemple en date, les accords d’Évian, qui marquent la fin de la guerre d’Algérie, contiennent dès leur signature une clause prévoyant une amnistie générale pour les crimes de guerre des deux camps.

Cette tradition française d’une politique de l’oubli volontaire marque le pas à la fin du 20e siècle. Deux raisons peuvent l’expliquer : l’oubli ne coïncide pas avec le désir de reconnaissance dont sont porteuses les victimes et entretient ces dernières dans une rancœur peu compatible avec une volonté de lien social apaisé. L’oubli contient une autre tare : celle de ne pouvoir se repencher sur son passé afin d’éviter de le répéter.

Le souvenir d’Auschwitz

C’est pourquoi la mémoire, sous la forme de politiques mémorielles, décidées et exécutées par des politiques, est apparue dans les années 1960, au sujet d’un événement traumatique par excellence : le souvenir d’Auschwitz. Pour l’historien Enzo Traverso, Auschwitz constitue le socle de la mémoire collective du monde occidental. Cette mémoire collective se présente sous diverses formes : commémorations, publications, ouverture de la parole aux témoins etc. En France, l’apparition du génocide juif au sein du champ mémoriel ouvre une brèche pour la réinterprétation de ce que fut le régime de Vichy. Si la mémoire d’Auschwitz, et plus largement de la Shoah, ne pose pas de désaccord majeur d’interprétation au sein de la société française, la mémoire du régime de Vichy sera porteuse de beaucoup plus de clivages car elle pointe du doigt la responsabilité de l’État français. Les voies qui mènent à la résurgence de cette mémoire traumatique sont parfois détournées : en 1972, c’est la volonté du président Pompidou de tourner la page en graciant le milicien et collaborateur Paul Tourier qui rouvre une période de ce que l’historien Henry Rousso nomme : « anamnèse » (du grec souvenir) de la Shoah. Devant la défiance suscitée par la décision, de nombreux dossiers jamais jugés pour des faits de collaboration sont réexaminés. Depuis lors, la Shoah s’est imposée dans la mémoire collective comme un fait incontournable dans la lecture nationale du passé en France.