Vivre sans école ?

La galaxie antiscolaire

De l’ultradroite catholique à la gauche libertaire, une multitude de réfractaires revendiquent le droit d’éduquer les enfants loin des salles de classe.

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Difficile d’établir l’acte de naissance de l’utopie d’une éducation sans école, tant celle-ci a longtemps été la règle plutôt que l’exception. Dans L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1960), l’historien Philippe Ariès situait la rupture à la fin du 18e siècle mais pour les spécialistes des pédagogies alternatives, tels que le chercheur Philippe Bongrand 1, le point de départ en France reste la loi du 28 mars 1882 sur l’obligation d’instruction. Celle-ci introduit dans notre droit la possibilité, encadrée, d’instruire son enfant en dehors de l’école : « Cette “instruction dans les familles” donne ainsi une existence légale, au titre de politique éducative, à ce qui n’était jusque-là qu’informel. »

À une époque où la France compte 14,4 % d’hommes illettrés, cette marge de manœuvre laissée aux parents ne peut être comprise hors de la rivalité qui régnait entre Église et État républicain. En témoignent les débats parlementaires houleux qui ont précédé le vote de la loi sous l’égide de Jules Ferry : pour les historiens André Robert et Jean-Yves Seguy, le droit d’instruire hors de l’école a fait figure de compromis pour préserver la liberté des pères de donner à leurs enfants un enseignement intégrant une dimension religieuse 2. « La droite conservatrice craignait que l’école publique, perçue comme menaçante pour les identités catholiques, s’impose par défaut aux familles qui ne pouvaient pas avoir accès aux écoles privées », explique Philippe Bongrand, qui souligne au passage le parallèle avec un phénomène plus récent, l’essor du homeschooling (école à la maison) aux États-Unis : « Dès les années 1980, les évangélistes chrétiens ont commencé à développer des discours antiétatiques et à exhorter les familles à retirer en masse leurs enfants de l’école publique, considérée comme un lieu d’embrigadement gauchiste et antireligieux. Aujourd’hui, ils représentent un puissant lobby qui surclasse les représentants des autres approches idéologiques du homeschooling. »