Gérard Noiriel fait partie des huit personnalités qui ont démissionné le 18 mai 2007 du conseil scientifique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), qui ouvrira bientôt ses portes au public. Il entendait par là protester contre la création du récent ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale Selon lui, l’expression « immigration et identité nationale » a été mise en circulation en France par des cercles d’extrême droite, qui véhiculent des représentations négatives, en opposant immigration et identité française, dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers. Un tel vocable, dit-il, risque d’être complètement banalisé et peut contribuer à exacerber xénophobie et racisme. Le danger est réel, ajoute-t-il, puisque la dernière enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rapporte qu’une majorité de Français pensent qu’il y a trop d’étrangers dans le pays ! Bref, l’intitulé de ce nouveau ministère lui semble incompatible avec le projet initial de la CNHI, organisme public visant à rappeler que la France s’est construite dans la richesse des apports migratoires. Dans son dernier livre, l’historien revient sur la fabrication du discours sur l’immigration dans l’espace public.
Quels rapports établissez-vous, dans votre dernier livre, entre les immigrés et l’« espace public » (1) ?
L’objectif de ce livre était de faire l’histoire des discours publics sur l’immigration. Pour cela, j’ai défini l’immigration comme un processus historique qui combine deux facteurs : le déplacement dans l’espace et le franchissement d’une frontière. Du coup, j’ai pris en compte certains travaux récents sur la genèse de l’État. Cela nous montre que des choses qui peuvent nous sembler évidentes, comme l’opposition entre Français et étrangers, résultent d’une construction, liée à celle de l’espace national. Cela dit, le moment majeur est la naissance de la IIIe République, avec la structuration de l’espace public. Celui-ci s’est formé dans toutes les démocraties, mais avec des modalités différentes. Dans le cas français, l’espace public vient se structurer autour de trois pôles qui abritent des professionnels du discours : le pôle politique avec la naissance des grands partis de masse, le pôle journalistique avec l’essor des grands quotidiens et le pôle des experts, lié à la reconnaissance des savants issus de l’université.