Il existe des milliers de raisons d’écrire. Certains auteurs avancent des motifs nobles : distraire, instruire, transmettre une histoire, donner corps à une expérience et la partager. D’autres, plus triviaux, affirment qu’ils n’auraient jamais rien publié sans une fille à séduire, une soif de reconnaissance ou une difficulté financière. Michel Houellebecq en témoigne dans La Carte et le Territoire : « On pourrait croire que le besoin de s’exprimer, de laisser une trace dans le monde, est une force puissante ; et pourtant en général ça ne suffit pas, soutient-il. Ce qui marche le mieux, ce qui pousse avec la plus grande violence les gens à se dépasser, c’est encore le pur et simple besoin d’argent. » D’autres enfin évoquent une nécessité vitale qu’ils peinent à expliquer. L’écriture s’apparente alors à cette « jalouse pratique », empreinte de mystère, décrite par le poète Jean-Michel Maulpoix, et qui « semble souvent, pour un écrivain, un projet aussi ancien qu’exister : une manie et un destin 1 ».
Face à cet écheveau de motifs, il n’est pas inutile de commencer par quelques observations sur la pratique d’écriture en elle-même. Dans tout texte (étymologiquement « tissu ») s’entremêlent technique et inspiration. Si l’humain a la propension à raconter des histoires, comme l’a montré Nancy Huston dans L’Espèce fabulatrice 2, tout le monde ne devient pas écrivain pour autant. Quelques conditions sont nécessaires : d’abord user de l’écrit comme mode d’expression privilégié, ce qui s’amorce généralement dès l’enfance, ensuite se montrer suffisamment déterminé et discipliné pour aller au bout. Car l’écriture est un labeur : Philippe Roth parle même de « calvaire », Patrick Modiano d’activité « franchement désagréable », Georges Simenon concédait « une vie assez pénible car on n’est jamais satisfait de soi 2 »… La présence d’un éditeur (ou d’un lecteur privilégié) s’avère souvent utile : comme le professeur face au lycéen ou le rédacteur en chef face à la journaliste, l’éditeur contraint, rassure, terrorise ou canalise. Sans lui, c’est-à-dire sans contraintes ni retours, le texte risque de rester lettre morte.
Donner forme à l’informe
Ces conditions réunies, l’une des motivations fondamentales de l’écriture consiste à vouloir donner forme à l’informe, à clarifier ce qui est confus en soi : magma de perceptions diffuses, émotions enfouies, idées en vrac, entrelacs de souvenirs. Jean-Jacques Rousseau, dans le Manuscrit de Neufchâtel, précise ainsi vouloir « débrouiller ce chaos immense de sentiments si divers, si contradictoires » dont il fut agité toute sa vie. Les Confessions, l’une des premières entreprises autobiographiques modernes, se trouve ainsi justifiée. L’écriture joue ici à l’évidence une fonction cathartique… Elle aide à faire le point, à prendre du recul ; elle est l’instrument qui permet de mettre en mot une expérience que le langage oral, usé et approximatif, peine à dire.