Le phishing et le trolling sont-ils révélateurs d’une tendance profonde de notre société ? Parcourant avec minutie le monde des médias imprimés, télévisés et surtout en ligne, François Jost s’attelle à qualifier les formes de méchanceté qui s’y expriment et à en comprendre les ressorts. L’enquête part de la naissance en 1960 du mensuel Hara-Kiri, autoproclamé « journal bête et méchant ». Les caricatures et les textes publiés à l’époque développent un humour noir qui s’attaque aux symboles dominants de ces années gaulliennes : la religion, l’armée, le pouvoir. Puis, le triomphe de la société du spectacle – pour reprendre les mots de Guy Debord – donne naissance à la téléréalité, un monde dont les héros sortis de nulle part sont le clou d’un spectacle que l’on se délecte à regarder. Jusqu’à ce qu’il devienne possible « d’exclure du jeu » à coups de SMS vengeurs ces anonymes devenus stars éphémères. On entre alors, explique F. Jost, dans le temps de « la démocratisation de la méchanceté médiatique » qui préfigure ce que va devenir l’espace discursif des réseaux sociaux.
Aujourd’hui, les forums Internet bruissent par-dessus tout d’« un rejet ad statutum » qui disqualifie systématiquement le discours des élites et des experts. Selon F. Jost, Internet est devenu la chambre d’écho d’un populisme ambiant qui se traduit dans les cas les plus extrêmes par une incitation à la haine, à l’homophobie et à d’autres formes de méchanceté. Une méchanceté dont la puissance est décuplée par la viralité des médias numériques.