La Méditerranée et l'eau du bain

La culture méditerranéenne existe-t-elle ? Cette question a rassemblé un collectif d'anthropologues qui font aujourd'hui le bilan de leurs réflexions.

L'agriculture, l'alphabet et trois grands monothéismes sont nés sur ses rives, sinon sur ses marges. La philosophie aussi, et de grands empires - les premiers du genre - successivement grec, romain et ottoman, se sont déployés sur son pourtour. Passe que la Méditerranée ait été un bassin de civilisations aussi brillantes que diverses, mais représente-t-elle pour autant aujourd'hui une aire culturelle pertinente ? Du nord au sud et d'est en ouest passent des frontières qui séparent l'Europe de l'Afrique, la chrétienté de l'islam, l'Occident de l'Orient.

Au xixe siècle, c'est l'unité biogéographique du monde méditerranéen qui, la première, a frappé les savants de l'expédition d'Egypte et de grands voyageurs comme Karl Ritter, Alexandre de Humboldt et plus tard le géographe Elisée Reclus. Ils voyaient dans cette mer intérieure l'épicentre d'une région naturelle faisant contraste avec les déserts du sud et de l'est, tout comme avec les paysages atlantiques et continentaux de l'Europe. Au xxe siècle, la Méditerranée a suscité d'autres tentatives de synthèse comme, en France, celles de l'historien Fernand Braudel, ou encore du géographe Claude Parain : elles appréhendaient le monde méditerranéen comme un espace de contact entre l'Europe, l'Orient et l'Afrique, insistant tantôt sur un fond commun civilisationnel, tantôt sur les échanges et les multiples métissages.

Une entreprise anthropologique

L'idée méditerranéenne n'en était donc pas à sa première version lorsque, à la fin des années 50, elle frappa à la porte des anthropologues : de même qu'il existe, depuis longtemps, des sociétés d'africanistes ou d'américanistes, une conférence internationale tenue en Autriche se donnait en 1959 pour programme de développer une « anthropologie de la Méditerranée ». Quarante ans ont passé, d'autres conférences ont eu lieu, des instituts d'ethnologie et de culture méditerranéennes ont vu le jour et de nombreux ouvrages ont été rédigés dans l'esprit de ce programme. Le monumental volume que publient aujourd'hui Dionigi Albera, Anton Blok et Christian Bromberger sur la base d'un colloque tenu à Aix-en- Provence en 1997 se propose d'en faire le bilan : un diagnostic pour le moins mitigé, mais riche par la somme des réflexions qu'il soulève, et qui pourraient sans doute s'appliquer à bien d'autres régions du monde.