Jusqu'en 1928, les ethnologues français n'ont pas de contacts directs avec les populations lointaines qu'ils étudient ; pour alimenter leurs recherches sans pour autant quitter leurs bureaux, ils se contentent d'analyser les informations recueillies par des voyageurs, des missionnaires ou des administrateurs coloniaux. En matière d'expérience de terrain, ils ont donc plusieurs dizaines d'années de retard par rapport à leurs collègues anglo-saxons ou allemands.
C'est en partie pour combler ce retard que Lucien Lévy-Bruhl, Marcel Mauss, Paul Rivet et Marcel Cohen fondent en 1925 l'Institut d'ethnologie de l'université de Paris 1. Fédérant des courants très divers, ces quatre chercheurs ont un double objectif : promouvoir l'ethnologie en tant que discipline autonome mais aussi former des ethnographes « professionnels » rompus aux méthodes d'enquête. A l'Institut d'ethnologie, M. Mauss encourage ainsi ses élèves à partir sur le terrain en leur enseignant les règles de la méthode ethnographique et en leur proposant un questionnaire dactylographié susceptible de les guider dans leurs enquêtes. Pour la première génération d'ethnologues français, diplômés de l'Institut d'ethnologie, l'expérience de terrain devient dès lors un préalable indispensable à leurs recherches (et à leur carrière).
Parmi les élèves de M. Mauss, Marcel Griaule va être le premier à appliquer sur le terrain les recommandations de son maître, de manière plus ou moins empirique d'ailleurs. Sa formation est parfaitement représentative des nouvelles orientations de l'ethnologie : elle allie théorie et pratique, apprentissage linguistique et initiation aux méthodes d'enquête. A partir de 1923-1924, M. Griaule apprend deux langues éthiopiennes - le guèze et l'amharique - en assistant aux cours de M. Cohen. Sur les conseils de ce dernier, il suit également l'enseignement dispensé par M. Mauss : ses conférences à l'EPHE en 1924-1925 et ses « Instructions d'ethnographie descriptive » à l'Institut d'ethnologie en 1925-1926. L'année suivante, M. Griaule s'exerce au métier d'ethnographe auprès de plusieurs Ethiopiens résidant en France en les interrogeant sur les coutumes de leurs provinces respectives.