«La pédagogie n'est pas une science» Rencontre avec Philippe Meirieu

Pape de la pédagogie, Philippe Meirieu sort les griffes dans son dernier livre. Les « antipédagos » ? Passéistes et élitistes ! Les « hyperpédagos » ? Incompétents et sectaires ! Les aficionados des neurosciences ? Scientistes ! Mais alors, à qui se référer pour éduquer les enfants ?

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Philippe Meirieu est assurément le plus connu et le plus clivant des pédagogues français. Militant assumé, « homme de gauche », écologiste, il se bat depuis quarante ans pour diffuser les principes de l’éducation nouvelle au sein de la société française. L’école, chez lui, déborde toujours du carcan scolaire. Elle institue du politique ; elle est ce lieu crucial où se jouent les desseins qui coloreront la société de demain. Issu des mouvements d’éducation populaire, P. Meirieu inscrit d’ailleurs très souvent son propos au-delà de la stricte pratique pédagogique, pour dresser le portrait systémique d’une école inscrite dans la société. Comme dans Repères pour un monde sans repères (Desclée de Brouwer, 2002), un ouvrage au sein duquel il interroge l’adaptation des pratiques éducatives aux mutations sociales (toxicomanie, hypersexualisation, médias de masse…).

Son dernier livre s’intitule La Riposte. En finir avec le miroir aux alouettes (2018). Une « riposte » à la réforme menée par Jean-Michel Blanquer – qu’il juge emprunte de valeurs libérales (technicité, performance, empirisme…), mais qui s’attaque aussi, simultanément, à la tendance actuelle à un « hyperpédagogisme ». Au nom du respect absolu de l’enfant, s’agace-t-il, on finit par considérer ce dernier comme un « pauvre être à isoler d’une école traditionnelle fondamentalement maltraitante pour lui ». Bref, on saborde publiquement l’Éducation nationale. Entreprise assurée notamment par ce qu’il qualifie de business prosélyte de l’éducation positive, sous forme de méthodes qui devraient permettre aux parents comme à l’éducateur d’éviter toute forme de conflictualité avec l’enfant. Or, pour P. Meirieu, si le postulat d’éducabilité – le fait de croire dans le potentiel de chaque enfant – est la condition sine qua non de la mission pédagogique, le rejet pur et simple de la contrainte est un leurre qui ouvre la brèche à des dérives individualistes dont l’école devrait absolument se prémunir.

Écoles alternatives, neurosciences, bonnes vieilles méthodes…, P. Meirieu passe donc à la moulinette, avec verve, tous les recours éducatifs actuellement plébiscités, sans jamais oublier de les restituer dans leur historicité. Avec une conviction : l’éducation est une question trop complexe pour supporter des réponses simplistes. Et en filigrane, les questions qui aiguillonnent l’ensemble de ses ouvrages : pour quoi éduquons-nous ? Pour bâtir quelle société ?

Dans votre ouvrage La Riposte, vous invitez à relire les grands pédagogues du passé, plutôt qu’à « totémiser l’innovation ». Pensez-vous que les méthodes d’hier valent toujours pour aujourd’hui ?

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Non, je ne le pense pas. L’histoire ne se répète pas : les contextes et les enfants changent, ce qui nous oblige à sans cesse repenser nos pratiques éducatives. Mais les grands pédagogues ont été confrontés à des problématiques que nous rencontrons toujours à l’heure actuelle. La façon dont ils ont formulé leurs questionnements peut donc encore nous inspirer. Par exemple, dans l’Union soviétique des années 1920, Anton Makarenko se demande comment éviter que dans un groupe, les enfants les plus dynamiques prennent systématiquement l’ascendant sur les autres ? Le contexte a évidemment changé, mais cette question subsiste. Il n’y aurait aucun sens à calquer mécaniquement la méthode pédagogique d’A. Makarenko, mais on peut aller chercher chez ce pédagogue les propositions qu’il a faites – comme la rotation des tâches et des fonctions dans les groupes d’enfants – pour mettre en réflexivité notre propre démarche pédagogique.