« La politique peut encore changer des vies » Questions à Céline Braconnier

Les citoyens les plus précaires votent moins que la moyenne, mais gardent une conscience politique aiguë. Ils perçoivent que certains choix politiques peuvent avoir des répercussions directes sur leur quotidien.

Les précaires entretiennent-ils un rapport spécifique à la politique ?

Le premier effet de la précarité est de détourner des urnes : beaucoup de précaires ne votent pas et nombre d’entre eux ne sont pas même inscrits sur les listes électorales. L’enquête réalisée avec Nonna Mayer à l’occasion des élections de 2012 montre ainsi que la non-inscription et l’abstention des inscrits augmentent mécaniquement avec le niveau de précarité : chez les 20 % les plus vulnérables, elles sont en moyenne trois fois plus élevées que dans le reste de la population.

Cela s’explique par le fait que la précarité prive largement de ce qui pousse vers les urnes : la confiance en soi, le sentiment de pouvoir être entendu. La procédure ajoute ses obstacles propres, notamment au stade de l’inscription qui constitue une étape administrative de l’accès à la citoyenneté électorale particulièrement discriminante pour les plus fragiles. Son coût est élevé quand on dépend des aides sociales ou du soutien d’associations caritatives et qu’on appréhende la fréquentation des guichets. Son calendrier est décalé par rapport à la phase la plus intensive de la campagne électorale (il faut s’être inscrit avant le 31 décembre de l’année précédant les élections pour pouvoir voter), ce qui laisse à l’écart ceux dont le quotidien est fait d’une lutte pour la survie et qui se projettent plus difficilement dans un avenir un peu lointain. Enfin, la précarité fait déménager : à la suite de la perte d’un emploi, d’une rupture conjugale, de la difficulté à payer le loyer, d’une expulsion. Autant de situations qui alimentent la mal-inscription, c’est-à-dire le fait d’être inscrit là où on n’habite plus. On sait aujourd’hui qu’elle constitue un facteur majeur d’abstention. 26 % des mal-inscrits n’ont voté à aucun des quatre tours de la séquence électorale de 2012, contre moins de 10 % de ceux qui pouvaient voter à proximité immédiate de leur domicile.