La santé : à la poursuite d'une utopie

La santé occupe désormais une place prépondérante et semble être devenue une véritable obsession. La médicalisation à outrance à laquelle nous assistons aujourd'hui témoigne peut-être d'une incompréhension partielle de ce qu'est la santé.

Innombrables sont les cultures dans lesquelles on engage ou clôt la conversation en s'enquérant de la santé de son interlocuteur ou en lui souhaitant de bien se porter. « Comment allez-vous ? », dit-on en français, « Vale », autrement dit « Porte-toi bien », avait-on coutume de lancer en latin lorsque l'on se quittait, « How are you ? », littéralement « Comment es-tu ? », demande-t-on en anglais... « Saluer » du reste vient du latin « salus », qui veut dire santé. Dans de nombreux pays africains, il convient, avant d'aborder tout autre sujet, de prendre des nouvelles de la santé de la famille. Même si elle se fait de façon parfois un peu mécanique, cette manière d'entrer en contact met bien en évidence l'importance que la santé occupe dans nos existences.

Les pratiques visant à préserver la santé ont toujours existé. L'historien Georges Vigarello dans son ouvrage Histoire des pratiques de santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen Age (Seuil, 1999) retrace ainsi leur histoire depuis le Moyen Age dans notre société. « Un premier constat s'impose : l'entretien du corps ou même l'attitude préventive envers le mal n'ont pas été inventés par le monde contemporain. Innombrables sont les démarches anciennes visant à activer les organes, à les préserver de toute atteinte extérieure. » Il suffit pour s'en convaincre de songer aux joyaux de santé au Moyen Age, pierres dont la pureté aurait protégé leurs détenteurs, au succès de mystérieux élixirs censés prémunir de divers maux, à la pratique du régime qui devient très présente dès le xvie siècle mais qui reste bien entendu une pratique propre à l'élite, à l'usage de la saignée dans la France classique, aux mesures prises par un Etat devenu hygiéniste pour éviter que les infections des pauvres ne menacent les autres, au développement de la gymnastique dans la deuxième partie du xixe siècle... Le souci de la santé est donc loin d'être une préoccupation contemporaine.

Pour G. Vigarello, en dépit de l'évolution de ces pratiques, les « grands repères » restent de fait les mêmes : « La volonté d'épurement, par exemple, traverse le temps, habitée par la crainte des déchets, ceux qui menacent le corps de quelque inexorable décomposition. Les images de force aussi traversent le temps : celle, tout immédiate, apportée par la nourriture ou les boissons ; celle, plus travaillée, apportée par l'exercice, le régime de vie ou la pharmacopée. » Aujourd'hui, c'est la graisse qui focalise l'attention et incarne le déchet tandis que la force semble s'identifier à l'énergie alimentaire.

L'essor du «mieux-être»

Il y a pourtant bien des spécificités au souci contemporain de la santé. Celle-ci est notamment devenue un véritable bien de consommation. En témoignent par exemple le développement de la presse santé, des « produits-santé », l'essor des thalassothérapies ou des denrées anticholestérol qui ont pris d'assaut les étalages... Comme l'indique G. Vigarello, une expression fait désormais florès : « mieux-être ».

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Les frontières mêmes entre le sain et le malsain se sont déplacées. L'exigence vis-à-vis de sa propre santé est aujourd'hui plus forte. Et G. Vigarello, pour appuyer cette thèse, de citer une enquête qui, à partir de deux questionnaires identiques et sur un même échantillon de population, met en évidence que le nombre des maladies déclarées s'est accru de plus de 75 % entre 1970 et 1980 alors même que l'espérance de vie a crû sur cette même période. Témoigne également de cette plus grande exigence la définition de la santé donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui y voit « un état complet de bien-être physique, mental et social ne se caractérisant pas uniquement par l'absence de maladie ou d'infirmité ». Conception bien utopique ou en tout cas très exigeante : en ce sens, rares sont ceux qui peuvent se dire en parfaite santé.