La science, une activité (presque) comme les autres Entretien avec Dominique Pestre

Il y a d’abord les faits. Les pommes tombent par terre, avec ou sans témoin. Mais il y a, ensuite, la façon dont nous comprenons ces phénomènes. Et là, tout se complique…

Qu’appelle-t-on les sciences studies ?

Les sciences studies, nées dans les années 1970, ont pour objectif de comprendre comment les savoirs se fabriquent, en insistant sur les aspects matériels, pratiques et culturels. L’une des premières études a été celle d’Harry Collins. Observant l’installation d’un laser canadien dans un laboratoire de physique de l’université anglaise de Bath, il s’aperçoit que malgré tous les échanges préalables, les Anglais ont besoin de faire venir un Canadien pour faire fonctionner cet outil scientifique. Cette étude souligne ainsi l’importance des savoir-faire dans la pratique scientifique et l’élaboration des sciences. Une deuxième étape est franchie par David Bloor en 1976 : lorsque les historiens étudient une controverse du passé entre deux scientifiques, explique-t-il, ils s’intéressent peu à celui qui a raison puisque la vérité se justifie d’elle-même. En revanche, ils explorent en détail les sous-jacents culturels ou sociaux qui ont conduit son adversaire à faire fausse route. D. Bloor invite à dépasser cette approche déséquilibrée, d’autant plus qu’aucun savant n’a jamais totalement tort ou raison ! Et il propose de considérer les deux comme également ancrés dans leur temps. Le troisième moment date de l’étude que Bruno Latour consacre à l’expérience menée par Pasteur à Pouilly-Lefort 1. Latour souligne que cette expérimentation publique, conçue comme un grand show médiatique, a joué un rôle essentiel dans la reconnaissance scientifique des thèses pastoriennes. Latour insiste ainsi sur la nécessité d’élargir l’analyse de la pratique scientifique au-delà du cercle scientifique proprement dit. En résumé, les sciences studies étudient la science comme une activité humaine qui s’ancre dans une époque et des pratiques.