À la faveur des circonstances, des œuvres émergent du passé parce que leurs thèses se trouvent coïncider avec des problématiques actuelles. C’est le cas du texte de Jeremy Bentham publié à Londres en 1791, le Panopticon. Utopie architecturale et sociale, le projet du fondateur de l’utilitarisme juridique consistait à placer dans une tour un surveillant autour duquel seraient disposés en cercle les bâtiments (prison, école, asile, caserne…) dont il aurait la charge. Chacun des surveillés occupant une alvéole serait vu sans voir celui qui l’observe. J. Bentham en attendait bien des économies de fonctionnaires et de moyens.
Selon Éric Sadin, l’intention demeure mais les moyens ont considérablement évolué : « La conjonction systématisée et standardisée du numérique et des réseaux de communication » est un des événements parmi les plus décisifs de notre temps. Elle permet l’instauration d’une surveillance permanente, tant horizontale (entre les individus) que verticale (des institutions vers les individus). L’individu est aujourd’hui « continuellement soumis à des procédures d’indexation évolutives, en fonction des traces numériques qu’il dissémine au cours de ses déambulations physiques ou de ses navigations virtuelles ». Si la surveillance n’est pas un fait nouveau, l’automatisation et la mise en relation des données conduisent à un maillage continu du renseignement. La géolocalisation de plus en plus précise, la constitution de bases de données, le développement de la biométrie, des logiciels d’analyse comportementale, la mise en place de capteurs, d’étiquettes radio (RFID) joints à une miniaturisation croissante forment un ensemble aux ramifications insoupçonnées. Car, pour É. Sadin, se profile à l’horizon un spectre communicationnel dont la puissance d’intégration gagnera jusqu’au corps humain, rendu toujours plus accessible et plus transparent par les nanotechnologies. Le succès des dispositifs est d’ailleurs d’autant mieux atteint que se constitue ce que Michel Foucault, lecteur de J. Bentham, nomme un « surmoi » disciplinaire intériorisant l’omniprésence (réelle ou supposée) de cette surveillance.