La technologie est une science humaine

Derrière les choix souvent perçus comme techniques se révèlent toujours des enjeux économiques, culturels et sociaux. Exemple à travers trois objets très connus : le stylo à bille, la pomme et la 2 CV.

Depuis ses origines et sous toutes ses formes, la technique est associée à l’homme et à la société. C’est en ce sens qu’André-Georges Haudricourt proposait de considérer la technologie comme une science humaine. Trois exemples, apparemment éloignés de la sophistication technique contemporaine, peuvent en témoigner : le stylo à bille, la pomme et la 2 CV.

 

De la plume d’oie au stylo-bille : une démocratisation de l’écriture

Le stylo-bille est l’arrière-petit-fils de la plume d’oie, elle-même lointaine descendante de moyens d’écriture employés depuis la préhistoire. Comme tous les objets techniques, il répond à des besoins sociaux, a suscité des tensions et compté ses admirateurs inconditionnels et ses contempteurs.

Très recherchée à la fin du XVIIIe siècle, en raison des progrès de l’écriture et parce qu’elle s’usait vite, nécessitant de fréquentes tailles, la plume d’oie est objet de spéculation ; le principal pays producteur (Pays-Bas) se mettant à protéger son marché national, c’est la guerre économique ! Les prix flambent, la rareté sévit. On invente alors le porte-plume : on coupe une plume en deux ou trois, donc on multiplie son usage. Avec l’industrialisation, on produit des plumes métalliques, qui suscitent l’écriture cursive, littéralement celle qui court et va vite, contrairement à la plume d’oie. À petit changement technique, débat public véhément, durant un demi-siècle, concernant son usage à l’école. Enjeu : la démocratisation de l’écriture et la libre expression personnelle. À l’école, la plume d’oie permettait juste d’écrire des maximes, morales ou religieuses, apprises par cœur, tandis qu’avec la plume métallique, l’écriture cursive favorise la rédaction de textes longs et éventuellement libres.

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Au début du XXe siècle, le stylo à plume (réservoir à encre intégré dans le manche, avec un tube qui conduit celle-ci à la plume) constitue une innovation majeure ouvrant la voie au stylo-bille, fiable vers 1950. Son introduction à l’école s’accompagne d’une nouvelle décennie de controverses. Une circulaire ministérielle du 3 septembre 1965 finit par en réglementer l’usage : « Il n’y a donc pas lieu d’interdire les instruments à réservoir d’encre, ni même les crayons à bille qui procurent des avantages de commodité pratique, à condition qu’ils soient bien choisis, et qu’ils permettent, sans effort excessif des doigts, du poignet et de l’avant-bras, d’obtenir progressivement une écriture liée, régulière et assez rapide. » Le débat se renouvellera trente ans plus tard à propos de l’ordinateur…

Aussi bien pour la plume métallique que pour le stylo-bille, le débat porte sur l’usage, non sur la conception. Il n’en va pas de même pour notre pomme quotidienne.

 

Un concentré de technique…la pomme

Loin du bucolique et du pastoral, elle a une très riche histoire. Transformée par la génétique, la biologie et l’agronomie, elle est aujourd’hui un produit industriel, proposé sur catalogue, transporté à longues distances et vendu en grandes surfaces. La pomme vient de loin, objet de soins minutieux à travers les siècles et les continents, avant même que l’Italie du Quattrocento puis les vergers monastiques ou royaux la diffusent en Europe et qu’elle devienne, au XIXe siècle, une culture (en tous les sens du terme) familiale, aux multiples variétés. Cette évolution est rompue par l’invention de la golden, comparable à celle de n’importe quel produit mécanique. En voici un témoignage dans les années 1950 :

• Yves Deforge , ESF, 1993.• (Andrew Feenberg, La Découverte, 2004.• « La technique »Yves Schwartz, Denis Kambouchner, , t. II, Gallimard, 1995.• Pôle éditorial multimédia UTBM