Le design. Entre monde de l'art et monde de la production

De l'ordinateur à l'automobile, de la machine à laver aux instruments de cuisine... le design des produits prend une place sans cesse croissante dans les objets de la vie quotidienne. Le design n'est plus conçu comme un simple ajout esthétique à un objet déjà existant, mais s'intègre désormais étroitement dans le processus de conception et de fabrication du produit.

«À mon coeur dès mon enfance. » De façon curieuse, c'est une phrase de Michel de Montaigne sur Paris qui pourrait caractériser le mieux la place centrale qu'occupe aujourd'hui le design dans notre environnement. Chacun vit en effet, dès sa naissance, immergé dans un univers de formes et d'objets conçus par des créateurs le plus souvent inconnus. Le premier biberon que l'on suce, les jouets aux couleurs vives qui nous entourent, le petit lit qui nous accueille avec confort et sécurité, l'ampoule qui nous éclaire d'une douce lumière, la baignoire dans laquelle nous sommes très tôt plongés, même le papier peint de la chambre, tous ces objets sont issus de la plume de designers et façonnent progressivement notre façon de voir et de vivre le monde qui nous entoure. Ces concepteurs de produits, de fonctionnalité, de beauté parfois, que sont les designers sont cependant mal connus. Ils se cachent souvent entre le monde de l'art et le monde de la production, ils s'inscrivent dans des démarches de conception qui s'industrialisent et se professionnalisent de plus en plus, ils éprouvent de plus en plus de mal à valoriser et à protéger leur contribution.

Artiste et ingénieur

L'image du design se réduit souvent à la vision romantique du créateur, artiste ou architecte, qui est capable de concevoir des produits beaux, séduisants, originaux et pratiques, qui structurent les environnements et les cadres de vie. L'exemple le plus frappant est sans doute, de ce point de vue, celui de Raymond Loewy, designer américain des années 50. La trace de ce dernier est en effet présente encore aujourd'hui dans toutes les maisons, sur les murs, dans les villes et même au ciel : c'est lui qui redessina la bouteille de Coca-Cola comme le paquet de Lucky Strike, imagina que les interrupteurs pouvaient être de grande taille, conçut les logos de Shell et TWA, inventa cette voiture de rêve qu'était la Studebacker, contribua à l'aménagement des premiers avions de ligne comme plus tard du Skylab, s'occupa de réfrigérateurs, de l'emballage des biscuits Lu, créa des vêtements... Il a marqué de son empreinte la plupart des objets de notre vie quotidienne. Mais c'est aussi lui qui a illustré le mieux la vision consumériste du capitalisme américain de l'après-guerre. Seule, en effet, l'introduction d'une valeur symbolique et artistique dans les objets permettait, à son avis, de garantir la possibilité d'une diffusion de masse : La Laideur se vend mal est d'ailleurs le titre de ses mémoires. Le design apparaît ainsi très tôt consubstantiel de la production de masse, et c'est sans doute une des raisons pour laquelle il occupe une place grandissante dans l'industrie.

Son exemple est emblématique d'une certaine vision très individualiste du design et de la création industrielle. Les membres du Bauhaus, comme plus tard les designers italiens des années 60 et 70, revendiqueront d'ailleurs un statut d'artiste et de créateur au service de la société. Pourtant, l'observation du monde des designers bat en brèche cette vision romantique. Leur activité, loin d'être un acte de pure création est aussi largement marquée par une articulation permanente avec le monde industriel et ses lois économiques : par les contraintes qu'il impose et par ses modes de production.

Selon une association professionnelle, le design stricto sensu représente, dans l'économie française, une activité au chiffre d'affaires de 2,5 milliards de francs (se répartissant pour 25 % sur le design produit, et pour le reste à part égale entre le packaging et l'identité visuelle) et employant près de 5 000 personnes 1.