Le maître déchu

Participez à notre enquête ! Et pour vous, l'autorité a-t-elle disparu aujourd'hui ? Ou avons-nous encore du respect pour l'autorité morale, intellectuelle, politique, pédagogique, professionnelle...? → Racontez-nous ! (cliquez ici pour utiliser l'espace "commentaire")

 

ÉDITORIAL

En tant que père de famille, il y a bien longtemps que je ne suis plus ce « héros » idéalisé que je fus quand mes enfants étaient petits. L’adolescence est passée par là et, avec elle, la désacralisation du père.

En tant que chef d’entreprise, je sais bien que je ne suis pas le « leader » modèle et incontesté que j’aurais voulu être, et l’on ne se prive pas pour me contester ou me critiquer.

En tant qu’auteur, je sais bien que ce que j’écris n’est pas lu comme parole d’évangile.

En tant que formateur ou conférencier, il m’arrive souvent d’être contesté en public.

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Bref, pour moi comme pour tous les anciens chefs – père, patron, professeur –, l’autorité n’est plus ce qu’elle était.

Finalement, il n’y a qu’une personne auprès de qui mon autorité reste intacte, intouchable et pour qui je reste le maître absolu : ma chienne Nutsy.

Depuis toute petite (elle a aujourd’hui 15 ans), elle m’obéit sans sourciller, me suit fidèlement partout où je vais, me couve des yeux. Avec elle, pas de toute : je suis son maître.

Allez savoir pourquoi ! Pourtant, elle ne connaît rien de mes titres universitaires, de mes publications, de mon statut social. Pourtant, je ne l’ai jamais battue, ni même « dressée » comme le font les maîtres-chiens. Mais c’est comme cela : Nutsy est très obéissante et pour elle je représente l’« autorité » incarnée.

Et voilà l’énigme qui me taraude en ce moment. Je retiens de mes lectures sur l’autorité (en politique, en éducation, en famille, en entreprise) quelques idées clés. D’abord que l’autorité, au lieu de s’imposer par la contrainte, s’appuie sur un principe légitime. Autrefois, c’étaient celui les dieux ou des Pères fondateurs ; dans les sociétés modernes, c’est le peuple, la nation, le savoir scientifique, les droits de l’homme, etc.

Ma chienne, qui respecte l’autorité, aurait-elle le sens des valeurs ? Si oui, lesquelles ?

Pour la psychanalyse, l’autorité repose sur la figure intériorisée du père. Ma chienne aurait-elle un surmoi ?

Quant à Hannah Arendt, elle affirme sans ambages que « l’autorité a disparu dans le monde moderne ». Pour elle, la seule vraie autorité s’appuyait sur la légitimité de la tradition, représentée par les Pères fondateurs. Cette autorité aurait disparu avec la fin de l’Empire romain. À mon avis, cette idée est discutable : s’il est un domaine où l’autorité des Pères fondateurs est loin d’avoir disparu, c’est justement celui des idées. Les discours d’autorité et le poids des « maîtres à penser » continuent à jouer à plein. Je me demande comment la philosophe aurait réagi face à ma chienne ? Aurait-elle un sain respect des Pères fondateurs ?

N’ayant pas trouvé de réponse claire à cette énigme, je me suis dit que se trouvait là l’occasion d’ouvrir un nouvel espace de discussion (rubrique commentaires) sur scienceshumaines.com où, depuis quelque temps, vous venez apporter vos contributions.

Et j’attends (sérieusement) votre avis sur la question.