Rencontre avec Jean Guilaine

Le néolithique quoi de neuf ?

La «révolution» néolithique n’existe plus. On avait longtemps pensé que la sédentarisation et l’apparition de l’agriculture étaient des phénomènes rapides et linéaires. Jean Guilaine montre au contraire qu’ils sont issus d’un processus long et fragmenté.

À partir de 9000 ans avant J.-C., les hommes deviennent progressivement agriculteurs et pasteurs. Ils se regroupent dans des villages, puis des villes. C’est ce que l’on appelle la néolithisation. On a d’abord cru qu’elle avait débuté au Proche-Orient, pour se répandre ensuite à travers le monde. Et qu’elle était inéluctable, conséquence de la sécheresse de la fin de l’époque glaciaire et de la surpopulation. Certains la voyaient comme une sortie du jardin d’Éden, passage obligé du monde sans souci des derniers chasseurs-cueilleurs vers l’univers dur et répétitif des agriculteurs et des pasteurs.

Cette vision unilinéaire est aujourd’hui remise en question. À présent, nous savons que des foyers de néolithisation sont apparus un peu partout à la surface du globe : Chine, Amérique… Et que leurs origines sont multiples. Pas de fatalité ni d’évolution identique. La néolithisation ne s’est pas non plus opérée d’un seul coup, comme une grande vague de progrès et de civilisation obligatoires. Ce fut un phénomène lent, progressif et réversible ; certains l’ont refusé et ne sont pas primitifs pour autant. Les hommes ont eu le choix : la néolithisation ne fut pas un progrès, mais une manière de vivre qui a accompagné le développement des sociétés humaines, en aucune manière une étape nécessaire, comme le pensaient certains théoriciens marxistes.

Le point sur le renouveau des recherches sur le Néolithique* avec Jean Guilaine, à l’occasion de la publication de la leçon de clôture de sa chaire au Collège de France.

Aujourd’hui, sait-on enfin pourquoi les hommes sont devenus agriculteurs et éleveurs ? A priori, la vie d’un chasseur est plus agréable que celle d’un paysan, qui se lève le matin pour traire son cheptel et se casse les reins à travailler la terre. D’autant que nous savons maintenant qu’aucune contrainte environnementale ou sociologique forte (du type sécheresse ou surpopulation) ne les y a obligés.

La question m’a souvent été posée s’agissant de l’émergence du phénomène néolithique et de ses conséquences : la création des villages, puis des villes et l’invention de l’écriture. Pourquoi aussi a-t-on remplacé les ancêtres par des dieux ? Des populations fluides, égalitaires, c’est-à-dire où chacun partait avec les mêmes chances ou disposait de marges de manœuvre peu ou prou identiques, par des sociétés inégalitaires, pyramidales, artificielles, intégrées dans un système souvent coercitif ?

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Les réponses n’ont pas manqué. Certains ont pensé au climat, qui aurait contraint l’homme à s’adapter. D’autres ont avancé des explications de type culturel. Mais que dit l’archéologie de cette transition de la chasse à l’agriculture ? D’abord que l’homme au Proche-Orient consommait céréales et légumineuses depuis au moins 20 000 ans (site d’Ohalo II, en Israël). Il n’est pas pour autant devenu agriculteur. Il ne se sédentarise localement que vers - 12000. C’est donc qu’il fait, à un moment, un choix culturel : il élabore un projet de fixation au sol, dans des maisons en dur…

Ce choix implique de nouvelles règles de vie en commun, le sentiment d’appartenir à une même communauté, clairement identifiée. Je pense que la sédentarisation est ici essentielle. On s’approprie un territoire et on légitime cette emprise en conservant près de soi, dans des nécropoles ou sous sa maison, ses ancêtres qui authentifient en cela la possession d’un espace et une filiation dans le temps. Tout cela relève donc d’un processus sociocognitif. Certes, il faut compter avec l’environnement : l’initiative nécessite de disposer à proximité d’eau, de graminées, d’animaux à chasser.