Le nouveau statut de l'enfant

Dans nos sociétés, le statut de l'enfant est profondément ambivalent. Reconnu comme sujet de droits, devant être écouté et respecté en toutes circonstances, l'enfant est soumis de plus en plus tôt à des attentes très fortes des diverses institutions (école, famille...). Comment s'est constitué ce nouveau regard sur l'enfant ?

De nombreux progrès ont été incontestablement accomplis, sociologiquement parlant, dans la considération des enfants. La société, via ses institutions éducatives et de protection, entend toujours agir « dans l'intérêt de l'enfant ». Ce dernier est écouté, voire hyperécouté, ses faits et gestes, ses dires sont interprétés dès son plus jeune âge. L'enfant est devenu un acteur social à l'école, dans la ville, à la télévision, prenant part très tôt aux discussions le concernant, sous des formes citoyennes ou pédagogiques pensées spécifiquement pour lui. Sujet de droits propres, il n'est plus soumis aveuglément à l'arbitraire des adultes, fût-ce pour des raisons d'éducation, et on le consulte, par exemple, lors du divorce de ses parents.

Toutes ces évolutions sont devenues progressivement des normes, d'abord dans les milieux sociaux les plus favorisés, ouverts aux dernières théories éducatives et psychologiques concernant le bon développement et l'ensemble des besoins infantiles, et conscients de la nécessaire prévention des traumatismes de l'enfance. Elles sont aujourd'hui partagées par tous et, en particulier, par les divers professionnels responsables de l'enfant et de sa protection qui ont à repérer les pratiques parentales défaillantes ou carencées pouvant mettre l'enfant en danger ou, à l'extrême, s'avérer maltraitantes 1.

Toutefois, rien ne garantit que l'enfant soit aujourd'hui mieux accueilli, respecté et entendu que par le passé. Outre les atrocités subies par certains, il n'est qu'à voir comment la plupart des petits citadins endurent des modes de garde diurnes mal adaptés à leur rythme, au terme d'un parcours du combattant pour leurs parents (course pour l'inscription en crèche ou chez une nourrice, en maternelle, pour les loisirs...), dans un espace urbain inadéquat à leur développement. Dans d'autres registres, de nombreux enfants font encore régulièrement l'objet d'évaluations scolaires sans nuances, et les divorces peuvent être l'occasion de les instrumentaliser face à des choix impossibles. Plus profondément, l'enfant subit une injonction à la performance, en étant de plus en plus précocement programmé pour une certaine réussite scolaire et sociale. La précocité est progressivement constituée comme norme, ou du moins comme aspiration : il s'agit d'être en avance sur ses pairs pour tel ou tel apprentissage cognitif, culturel ou artistique. Ceux qui ne sont pas dans ces dispositions, les enfants « lents », « rêveurs », « irréguliers », « passifs », « en difficulté » - expression scolaire très répandue et néanmoins floue - sont eux aussi très précocement stigmatisés. L'école est le lieu de ce marquage rapide des destinées.

Au nom des meilleures intentions, les effets conjugués des politiques médico-sociales et de l'orientation scolaire construisent, dès le plus jeune âge, une nouvelle normativité. Les classifications qui en sont issues, fondées sur des problèmes d'apprentissage cognitif ou des comportements inappropriés au « métier d'élève » (incivilités, agitation, hyperactivité, voire trop grande précocité !), acquièrent souvent un caractère prédictif. La gestion de la prévention des problèmes scolaires a alors pour effet de vulnérabiliser certains enfants de plus en plus tôt, comme lorsqu'on parle d'« échec scolaire » ou de « risque d'échec » dès la maternelle. Nous sommes bien en présence d'un modèle de « gestion des risques » 2 qui, rencontrant les inégalités sociales, produit un renforcement des discriminations entre les enfants selon leur origine.

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Amour et haine : la passion de l'enfant

Les éducateurs qui affrontent chaque jour la masse des enfants « à problèmes », à l'avenir inquiétant, à la marginalisation annoncée, se voient ainsi confier la tâche de faire taire ce qu'a d'insoutenable la coexistence de tels écarts sociaux. On constate chez eux un renforcement de la conscience du poids de l'hérédité génétique, des déterminismes psychologiques et sociaux, ainsi que, paradoxalement, un sentiment de responsabilité de l'enfant dans ses contre-performances et ses échecs. Les enfants, quant à eux, sont peut-être plus tôt confrontés au désenchantement et à une perte progressive d'une certaine insouciance enfantine. Enfin, cette nouvelle perception des déterminismes altère peu à peu, dans les représentations sociales, la conception dynamique du développement et de la socialisation de l'enfant que les connaissances psychologiques et sociologiques avaient fondée théoriquement.