Vous êtes sous le choc après avoir appris la disparition d'un proche et vous ressentez le besoin d'en parler à un ami. Vous vous êtes violemment disputé avec un collègue et, encore sous l'empire de la colère, vous en parlez à votre conjoint en rentrant. Voilà ce qu'on appelle le « partage social des émotions ». D'où vient ce besoin pressant de communiquer avec son entourage, voire à un inconnu rencontré dans le train ? Telle est la question que Bernard Rimé, de l'université de Louvain et spécialiste du domaine, propose dans ce livre. On évoque couramment le besoin d'« évacuer », pour expliquer le partage de ses émotions. La parole aurait un effet libératoire, comme si un trop-plein d'émotions devait se déverser par les mots. En fait, cette vision de l'émotion « réservoir » est une idée reçue. Aucune enquête ne confirme cet effet défouloir. Bien souvent d'ailleurs, le partage des émotions réactive les souvenirs et les émotions associées, plutôt qu'il ne les évacue. C'est le cas des souvenirs d'événements ou de personnes disparues que l'on se remémore lors des réunions de famille. Ces échanges collectifs ravivent de fortes émotions (tristesse, nostalgie ou allégresse) plutôt que de nous en libérer. Pour B. Rimé, le partage des émotions exprimerait le besoin chez l'individu de trouver un support social, qui vient compenser la déstabilisation psychologique produite par les événements qui perturbent notre quotidien. La victime d'un accident, même si elle en est sortie indemne, a éprouvé une grosse frayeur. Elle se sent tout à coup fragile et vulnérable. Ses repères cognitifs habituels sont remis en cause (« je peux mourir d'une seconde à l'autre »). Partager ses émotions, c'est pour elle l'occasion de se réintégrer dans une communauté d'appartenance, avec ses valeurs et ses liens. La personne qui a perdu un proche recherchera un ami pour partager sa peine (ou être consolé, peu importe). L'essentiel est de briser le sentiment de solitude et de fragilité qui s'empare de nous. Il ne s'agit pas de se libérer de sa peine mais de tisser un lien. Ce livre est une véritable mine. L'auteur passe en revue les théories psychologiques des émotions (de Charles Darwin aux théories cognitives actuelles), présente des centaines de recherches (notamment sur le stress posttraumatique et les effets des debriefings) et surtout propose, à travers le phénomène du partage social des émotions, une théorie générale de l'insertion psychologique de l'individu en société.
Marc Olano