Le pied-dans-la-porte : l'avènement des techniques d'influence

Demander quelque chose qui ne se refuse pas, pour mieux obtenir ce qu’on aurait pu nous refuser : voilà 50 ans que cette technique inspire des recherches pour influer sur le comportement d’autrui, pour le pire mais aussi le meilleur.

De toutes les techniques d’influence du comportement étudiées par les psychologues sociaux, la technique dite du Pied-dans-la-porte (traduction littérale de l’expression anglaise « Foot-in-the-door ») est certainement la plus connue, et a fait l’objet du plus grand nombre de publications. Historiquement, le pied-dans-la-porte marque le début de l’étude de nombreuses techniques d’influence sociale mises à jour par les psychologues sociaux. Le nom même de ces autres techniques a été fortement influencé par le nom de cette première technique : la porte-dans le nez, le pied-dans-la-bouche… La technique du pied-dans-la-porte est également connue du grand public en raison du succès de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique comme Influence et manipulation de Robert Cialdini ou, plus près de nous, du Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois. Enfin, sur le plan théorique, cette technique est certainement celle dont on a cherché le plus à circonscrire le ou les mécanismes cognitifs sous-jacents. En outre, le pied-dans-la-porte a largement contribué à impulser la recherche autour de la psychologie de l’engagement, dont on sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un des concepts les plus puissants de la psychologie de l’influence sociale.

Demander un peu pour obtenir beaucoup

Le principe de cette technique est extrêmement simple : on soumet une première requête, appelée requête préparatoire, d’un faible coût pour la personne à laquelle elle s’adresse (donner l’heure, répondre à deux ou trois questions simples, donner une direction facile…), pour soumettre ensuite une seconde requête plus coûteuse (donner de l’argent, accepter de répondre à une longue enquête…). Le fait de préparer la personne à aider prédisposerait ainsi à accepter plus facilement la seconde requête, que si cette dernière avait été formulée directement.

Si plusieurs centaines de publications ont été faites sur cette technique, la première et la plus citée provient de l’article publié en 1966 par Jonathan Freedman et Scott Fraser, de Stanford. Le but de leur première expérience était d’obtenir de ménagères qu’une équipe d’enquêteurs viennent chez elles pendant deux heures afin de répertorier les produits qu’elles utilisaient dans leur maison. Ces ménagères étaient sollicitées, par téléphone, par un enquêteur d’un « organisme privé » dont le nom était inventé pour la circonstance. Après s’être présenté, celui-ci demandait à la personne si elle accepterait de répondre à un court questionnaire composé de huit questions sur ses produits de consommation courante. En cas d’acceptation, le questionnaire était alors soumis et, au terme de la conversation, l’enquêteur remerciait puis raccrochait.

Trois jours plus tard, ce même enquêteur téléphonait à nouveau aux ménagères ayant accepté de répondre initialement, et leur demandait alors si celles-ci accepteraient de recevoir la fameuse équipe d’enquêteurs chez elles. Un groupe contrôle avait été constitué, lequel se voyait formuler directement la requête finale. De plus, deux autres conditions expérimentales étaient introduites afin d’évaluer plus finement ce qui pouvait expliquer l’effet de la technique. Ainsi, auprès d’un 3e groupe, on procédait comme dans le cas du pied-dans-la-Porte, mais le questionnaire préparatoire (celui comprenant 8 petites questions) n’était pas soumis aux personnes. Dans ce cas, l’enquêteur prétextait simplement qu’il contacterait la personne ultérieurement. Dans un dernier groupe, il n’était fait aucunement allusion au questionnaire et l’enquêteur se contentait de téléphoner pour présenter l’organisation à laquelle il appartenait, et ce qu’elle faisait. Les résultats montreront qu’en condition contrôle, lorsqu’aucune interaction préalable n’avait eu lieu, 22 % des personnes ont accepté, contre 53 % en condition de pied-dans-la-porte avec la passation du questionnaire préalable de 8 questions. Lorsqu’il y avait acceptation de répondre à ce questionnaire mais que cela n’était pas réalisé, le taux d’acceptation de la requête finale passait à 33 %, ce qui prouve qu’il faut faire réaliser l’acte préparatoire et pas simplement faire accepter le principe de répondre. Enfin, on peut dire que le Pied-dans-la-porte ne peut être considéré comme un simple effet de familiarité, puisque 28 % des personnes du groupe contacté par l’enquêteur qui se contentait de se présenter ont accepté la requête finale.