Le populisme, maladie de la démocratie ? Entretien avec Federico Tarragoni

Souvent brandi comme une menace, le mot «populisme» sert aujourd’hui à désigner des réalités politiques très variées, au risque de la confusion.

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Le « populisme » est-il un phénomène nouveau ?

À l’origine, ce mot désigne un phénomène politique qui naît au 19e siècle avec l’essor des démocraties représentatives. Il fait son apparition dans trois contextes géographiques différents : en Russie entre les années 1840 et 1880 avec les narodniki, des socialistes non marxistes issus majoritairement de la paysannerie exploitée ; aux États-Unis au cours des années 1880-1890 avec le People’s Party, qui rassemble des fermiers ruinés du Midwest, de l’Ouest et du Sud des États-Unis ; et enfin en Amérique latine au 20e siècle, où il se consolide comme tradition politique entre les années 1930 et 1960. Historiquement, le populisme se manifeste comme une idéologie plutôt agrarienne, avec un primat accordé à des groupes paysans, bien que cette composante ne permette pas de la définir politiquement.

Quels sont les marqueurs de l’idéologie populiste ?

J’en dénombre quatre. Le premier est qu’il se développe en contexte de crise démocratique, que la démocratie soit d’ores et déjà instituée mais jugée incomplète ou qu’elle reste à fonder comme dans le cas russe du narodnichestvo. Le deuxième caractère du populisme est qu’il repose sur l’antagonisme peuple/élites. Mais il ne consiste pas simplement à les opposer comme le font à peu près toutes les idéologies politiques. Le libéralisme, au 17e siècle, opposait par exemple une certaine interprétation du peuple aux élites royales ; le nationalisme oppose quant à lui une vision ethnique du peuple à des élites pensées comme corrompues par l’étranger. La singularité du populisme consiste à concevoir, d’un côté, le peuple comme seule force capable de redonner à une démocratie en crise ses propriétés égalitaires et inclusives et, de l’autre, les élites comme force qui a dévoyé cette même démocratie. Les deux ne sont cependant jamais clairement identifiables en tant que groupes sociaux. Le troisième caractère est un mode de représentation politique spécifique qui repose sur la colère populaire en proclamant que celle-ci peut être incarnée par tout un chacun. Ce qui, il faut bien le reconnaître, peut dériver vers un certain personnalisme si un individu plus charismatique que les autres se dégage et réussit à asseoir son autorité sur la mobilisation. Enfin, le quatrième caractère est le fait que les mouvements sociaux qui s’emparent de l’idéologie populiste sont interclassistes. On a alors affaire à des alliances provisoires de groupes sociaux qui ont des revendications très différentes, voire divergentes, mais qui se fédèrent sur la question démocratique. Aux États-Unis, par exemple, le populisme était certes porté par des paysans paupérisés, mais bientôt rejoints et soutenus par des mouvements urbains : syndicats de travailleurs, réseaux féministes, etc. La spécificité du populisme est donc de vouloir assembler un peuple composite, pluriel. C’est la grande différence, par exemple, avec le mouvement socialiste, qui est essentiellement tourné vers la classe ouvrière.