Le Profilage des populations

Le profilage
 des populations
. Du livret ouvrier 
au cybercontrôle
. Armand Mattelart 
et André Vitalis, La Découverte, 2014, 
224 p., 18 €

« Rien n’est plus utile à l’État qu’une liberté connue et une surveillance cachée. » Avec ces mots de Pierre Samuel Dupont de Nemours (prononcés en 1787), les auteurs de cet essai donnent le ton dès l’introduction. Au fil des pages, Armand Mattelart et André Vitalis suivent l’évolution du profilage, interrogeant le rapport tendu entre liberté et sécurité. Instructif et inquiétant. Aujourd’hui, une quantité toujours croissante d’informations sur nos comportements et nos déplacements est compilée « pour en extraire des profils individuels et les segmenter ». À la surveillance de certaines catégories de la population s’est progressivement substituée une surveillance de l’ensemble des citoyens. Avec le constat que cette forme de contrôle qui, « du livret ouvrier aux registres de police et aux fichiers manuels, jusqu’à l’apparition de l’informatique puis de l’Internet », n’a cessé de se perfectionner et de s’étendre. Le nombre de fichiers dans lesquels l’individu figure dans les pays occidentaux, indiquent les auteurs, est estimé à près de 500. Autre chiffre alarmant : 578, soit le nombre approximatif d’informations récupérées par visiteur et par mois par Google selon l’institut Comscore. « La création d’un fichier contenant les caractéristiques de tous les habitants du monde ne poserait pas de problème technique majeur », affirment ici les auteurs, indiquant au passage que l’Inde s’apprête aujourd’hui à créer « la plus grande banque de données biométriques du monde relative au 1,2 milliard de ses citoyens, avec pour chacun d’eux le recueil de l’empreinte du pouce, le scanner oculaire et une identification à douze chiffres ». Une question se pose alors inévitablement : jusqu’où ce profilage peut-il aller ? « L’image de la société qu’(il) projette cadre mal avec le projet d’émancipation imaginé par (les hommes) à la fin du XVIIIe siècle », notent A. Mattelart et A. Vitalis. Que sommes-nous prêts à accepter ?