Élevé, apprivoisé, préservé, cajolé, personnifié, utilisé, consommé, éradiqué… l’animal entretient, avec l’Homme, un rapport ambigu. Qu’en est-il de son rapport au droit ? Dans notre système juridique, l’animal n’est pas, comme l’Homme, un sujet de droit, mais un objet de droit. Il fait par conséquent, à l’encontre de l’Homme, l’objet d’une protection.
L’animal n’est pas (encore ?) un sujet de droit
Les animaux ont-ils des droits ? Puisqu’il existe une « Déclaration universelle des droits de l’animal » 1, la réponse devrait être positive. Cette déclaration n’a toutefois aucune portée juridique. Il existe bien un « droit de l’animal » (« droit animal » 2 ou « droit animalier » 3), mais l’expression désigne alors l’ensemble des règles qui concernent les animaux (tout comme l’expression « droit du travail » vise l’ensemble des règles régissant les rapports entre employeur et employé), et non pas un droit dont l’animal serait titulaire. En l’état de notre droit, les animaux n’ont pas de droits parce qu’ils ne sont pas dotés de la personnalité juridique. Alors même qu’une décision de justice argentine a reconnu le statut de personne non humaine à un orang-outang 4, le droit français réserve pour l’heure la qualité de sujet de droit aux êtres humains (et aux personnes morales). Seules les personnes (physiques ou morales) sont sujets de droit car elles seules sont dotées de la personnalité juridique et ainsi de l’aptitude à être titulaires de droits et d’obligations.
Conférer aux animaux la personnalité juridique telle qu’elle est reconnue aux êtres humains ne peut d’ailleurs pas être sérieusement envisagé. Quel sens y aurait-il à accorder aux animaux (à tous les animaux ?) nos droits civils : droit à la vie privée, droit à l’honneur, droit au mariage, etc. ? Peut-on sérieusement souhaiter reconnaître aux animaux la capacité de conclure des contrats, l’aptitude à acquérir des biens ou encore à contracter des dettes ? Seule la reconnaissance d’une personnalité juridique adaptée serait éventuellement envisageable 5.
Une réforme en ce sens impliquerait toutefois d’apporter des réponses convaincantes aux questions suivantes : Quels droits reconnaître aux animaux ? À quels animaux reconnaître de tels droits ? Quelle que soit l’étendue des réponses apportées, conférer des droits à des animaux serait un véritable bouleversement dans notre système juridique. Un des piliers de ce système est la distinction fondamentale qui oppose les personnes et les biens. Selon cette summa divisio, il est des personnes (sujets de droit) et il est des biens (objets de droit). Tout est personne ou bien. Reconnaître aux animaux (ou à certains d’entre eux) la qualité de personnes (sujets de droit) impliquerait de les débarrasser de leur nature d’objets de droit (objets de droit de propriété notamment). Mais notre société est-elle prête à renoncer ainsi à l’appropriation de tout ou partie des animaux ?
L’animal est (encore) un objet de droit
« Tant que la loi considérera les animaux comme des meubles, ils souffriront ». Tel était le slogan de campagne de la Fondation 30 millions d’amis pour la modification du Code civil. Soutenue par 24 intellectuels, sa pétition « pour une évolution du régime juridique de l’animal reconnaissant sa nature d’être sensible » a recueilli près de 800 000 signatures. Cet élan a conduit à la modification du Code civil par une loi du 16 février 2015. Aussi, a-t-on pu lire dans la presse, après l’adoption de l’amendement à l’origine de la modification : « Les animaux ne sont plus des ‘‘meubles’’. Un chat n’est pas une lampe. La loi vient d’intégrer ce qui peut sembler une évidence pour beaucoup » 6. Cette analyse est toutefois trompeuse. Retirer les animaux de la catégorie des meubles n’avait d’abord rien d’évident. Il n’est d’ailleurs pas même évident que ce retrait ait effectivement eu lieu ! (voir encadré)