Pascal Dibie

Le village évanoui

Vingt-cinq ans après avoir consacré une première étude d'« ethnologie du proche » à son village, Chichery, en Bourgogne, Pascal Dibie publie Le Village métamorphosé, une enquête approfondie sur les transformations de sa commune devenue « rurbaine ».

Chichery, samedi matin, 1er avril 2006. Il faut à peine plus d'un quart d'heure pour rejoindre Chichery en partant d'Auxerre. On prend d'abord la route nationale 6, puis on bifurque sur la gauche, et un kilomètre plus loin on atteint le village, niché au sommet d'une petite colline. Objet de la visite : une rencontre avec Pascal Dibie, l'ethnologue des lieux. Il vient de publier Le Village métamorphosé. Révolution dans la France profonde dans la prestigieuse collection « Terre Humaine » (Plon). Ce village métamorphosé, c'est justement Chichery, petite commune de Bourgogne de moins de 500 habitants. Le village de son enfance et son port d'attache quand il n'est pas à Paris, ou dans quelque expédition au Brésil ou aux Etats-Unis.

La maison de P. Dibie est facile à trouver : juste en face de l'église. Je franchis le portail et me souviens subitement de la première visite. C'était il y a dix-sept ans déjà. Sciences Humaines n'en était qu'à ses balbutiements (un tout petit journal fabriqué artisanalement, et photocopié à quelques dizaines d'exemplaires). P. Dibie fut l'interlocuteur de mon premier entretien de « chercheur ». Il était déjà connu comme ethnologue et écrivain et avait publié dix ans auparavant une étude remarquée : Le Village retrouvé. Essai d'ethnologie de l'intérieur, déjà consacré à Chichery.

Lors de notre premier entretien, P. Dibie m'avait alors raconté comment il en était venu à prendre comme objet d'étude son propre village. Tout avait commencé au début des années 1970 (dans Le Village métamorphosé, on voit une photo de lui, dans une salle de l'université de Jussieu : visage juvénile, presque féminin, longs cheveux blonds, participant à une conversation animée avec trois autres ethnologues barbus et chevelus). A l'époque, l'itinéraire de l'ethnologue ? le rite d'initiation, faudrait-il dire ?, passait forcément par un « terrain » auprès d'une société traditionnelle du fin fond de l'Amazonie ou de la savane africaine. P. Dibie, lui, avait alors choisi les Indiens Hopis en Arizona, une tribu « classique » des ethnologues déjà explorée par des dizaines d'ethnologues.

Le village retrouvé

« Lorsque je suis arrivé chez les Hopis, la question a été réglée dès les premières heures. Je me suis retrouvé à Hotavila, dans la maison de Danaqyumptewa, une sorte de sage du village. Je fus accueilli par sa famille car lui-même était aux champs. "Ah, vous êtes un ethnologue... Vous prenez la place de l'ethnologue suisse qui est parti la semaine dernière." » Pour rejoindre le vieux sage, les Indiens l'emmènent alors sur un vieux tracteur Massey Ferguson. « Il se trouve que c'était exactement le même que celui sur lequel je suis monté, ici, à Chichery, avec la même aile, le même moteur à essence. » Danaqyumptewa ressemble étrangement à un des vieux de Chichery... Le tracteur, cette ressemblance, très vite le jeune ethnologue éprouve un malaise et comprend qu'interroger les gens d'ici pendant quelques semaines sur leurs mythologies ou leurs rites reviendrait à interroger un vieux de Chichery sur les rites de la messe ou le catéchisme. « Je me suis rendu compte que le quotidien ? travailler aux champs, manger, dormir... ? n'avait rien à voir avec les mythologies et rituels racontés dans les livres sur les Hopis. »