En 1999, une polémique sur les biotechnologies secoue l’Allemagne. D’un côté, le vénérable Jürgen Habermas, l’héritier de l’école de Francfort, pape de l’éthique de la discussion, de l’autre, Peter Sloterdijk, un philosophe audacieux se réclamant de Friedrich Nietzsche et de Martin Heidegger. Une discussion un peu vive dans les couloirs feutrés de l’université ? Pas du tout. Une fois n’est pas coutume, la querelle philosophique s’étale dans les journaux allemands, faisant souffler un vent de scandale. Car le nazisme est encore dans toutes les mémoires, et aborder des questions telles que le clonage et la manipulation du vivant, c’est avancer en terrain miné. L’objet de la polémique : Règles pour le parc humain (1), un discours que P. Sloterdijk donna à Bâle en 1997 et qu’il reprit, légèrement modifié, en 1999, suscitant cette fois un scandale. Deux passages en particulier ont choqué : l’un évoque une politique « d’élevage de l’homme » et expose la thèse de F. Nietzsche selon laquelle l’éducation est un dressage, l’autre interprète librement l’image platonicienne d’un « parc humain ». L’usage en particulier de termes comme Selektion (« sélection ») et Zähmung (« dressage », « apprivoisement ») ont rappelé à certains les sombres heures du nazisme (2). Et P. Sloterdijk de dénoncer le travail de sape de J. Habermas auprès de la presse allemande… L’affaire constitue un excellent révélateur des enjeux humains liés à l’essor des biotechnologies. En ligne de mire surtout, l’ingénierie génétique et le clonage, qui font craindre la résurgence d’un nouvel eugénisme.
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La guerre des idées
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