Longtemps, l'Inde a pu se présenter comme la « plus grande démocratie du monde » en raison de sa remarquable aptitude à tenir des élections libres, des scrutins qui ont en outre débouché sur des alternances au pouvoir par la voie des urnes à six reprises depuis 1977. Mais ce dispositif électoral était le monopole d'une mince élite politique et se superposait à une société de castes particulièrement inégalitaire.
Ce système des castes se décompose en trois grandes masses : les « deux fois nés » - brahmanes (lettrés), kshatriya (guerriers), vaishya (marchands), qui constituent les trois varna (ou couleurs) supérieures -, les basses castes (shudra) et les intouchables. Cette hiérarchie repose sur le degré de pureté rituelle qui est toujours associé à une activité professionnelle. Elle se perpétue grâce à un régime matrimonial fondé sur l'endogamie de caste la plus stricte. La ségrégation entre castes se traduit aussi par des interdits de commensalité et bien d'autres mesures d'exclusion : les castes se regroupent par quartier dans les villages, les plus basses n'ayant accès ni aux puits ni aux temples des plus hautes.
Loin de remettre en cause cette structure hiérarchique, la plupart des partis politiques s'y sont coulés pour mettre en place de véritables dispositifs clientélistes. C'était clairement le cas de la plus importante de ces formations, le Congrès, qui occupa le pouvoir sans partage à New Delhi jusqu'aux années 90, hormis deux intermèdes en 1977-1979 et 1989-1991 (depuis 1996, le Congrès n'a plus exercé le pouvoir gouvernemental). Ce « système congressiste » faisait une place aux politiques sociales, mais d'une façon très limitée. C'est ainsi que la réforme agraire voulue par Jawaharial Nehru ne se traduisit pas par une redistribution très significative des terres afin de ne pas déplaire aux notables ruraux du Congrès. Une autre de ces politiques, la discrimination positive en faveur des castes les plus basses, devait avoir un impact social et surtout politique bien plus considérable.
Discrimination positive et occultation de la caste.
Au moment où l'Inde accède à l'indépendance, en 1947, les intouchables et les tribus aborigènes bénéficient déjà, depuis l'époque coloniale, de quotas dans l'administration, l'enseignement supérieur et les assemblées élues. Les basses castes - dont la condition est parfois analogue à celle des intouchables - ne sont pas, elles, logées à la même enseigne. Nehru s'en inquiète et leur donne un nouveau nom : « other backward classes » 1, les autres classes arriérées, sous-entendu autres que les intouchables et les tribus, mais appelées à bénéficier comme eux d'une aide de l'Etat en raison de leur condition.
L'Assemblée inscrivit dans la Constitution une clause - l'article 340 - aux termes de laquelle le président de la République était habilité à désigner une commission chargée d'identifier les « socially and educationally backward classes » et de proposer des mesures susceptibles d'améliorer leur sort.
La première backward classes commission fut nommée en 1953. Après des mois de travail, elle en vint à considérer que les principaux critères du retard social renvoyaient tous à un même dénominateur commun : l'appartenance à une caste inférieure. Ce qui l'amena à établir une liste de 2 399 castes dites « OBC » (l'abréviation consacrée par l'usage pour désigner les other backward classes).
Le gouvernement de Nehru rejeta le rapport en arguant du fait que définir les OBC à partir de la caste risquait de perpétuer un système social archaïque. Le gouvernement s'opposait aussi aux recommandations de la commission qui, pour améliorer le sort des OBC, avait proposé toute une batterie de mesures de discrimination positive allant d'un quota de 70 % des places dans les établissements d'éducation technique, à la réservation, de 25 à 40 % suivant les classes, des postes vacants dans la fonction publique. Pour les autorités de Delhi, ces mesures risquaient de pénaliser les plus capables (et méritants) et donc de nuire à l'efficacité de l'administration ou des entreprises 2. Cette objection reflétait la hantise des hautes castes (dont ces leaders étaient tous issus) de voir les OBC accroître leurs débouchés dans ce pré carré que représentait la fonction publique pour les élites lettrées.