Les chemins du bouddhisme des Anciens

Le theravâda passe pour le bouddhisme le plus proche des enseignements du Bouddha. Cheminements autour d’une conviction discutée.

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En chemin peut être une voie matérielle, géographique, qui va d’un point à un autre. Ce peut être aussi une voie spirituelle, historique, qui inspire puis développe un système de pensée, de vie. Les chemins du bouddhisme des Anciens s’étendent aujourd’hui sur le monde presque entier et couvrent 2 500 ans de son histoire. Impossible de les suivre tous. Nous n’aborderons que deux types de cheminements : mémoriaux et spirituels.

Cheminements mémoriaux

Ce que nous appelons bouddhisme désigne, pour les bouddhistes pratiquants, l’enseignement-du-Bouddha (buddha-sâsanâ). Or, enseignement implique déjà un chemin risqué, celui d’une bouche à des oreilles, qui entendent ce qu’elles peuvent, et parfois ce qu’elles veulent. Le Bouddha l’avait prédit : comme toutes choses, son enseignement serait naturellement victime de la loi de l’impermanence générale. Inquiets de ce déclinisme programmé, les bhikkhu (mendiants) bouddhistes, que nous appelons moines par relâchement de langage, ont toujours aimé rappeler le nombre d’années écoulées depuis sa mort pour appeler leurs ouailles à la résistance.

Aujourd’hui, bouddhisme des Anciens renvoie généralement au theravâda. C’est logique, à la lettre. Un thera est effectivement un ancien, quelqu’un qui a une expérience à transmettre. Quant à vâda, c’est la position que l’on tient dans une discussion. La mention probablement la plus ancienne – 4e siècle de notre ère – de ce theravâda se trouve dans la Chronique de l’île [de Ceylan] (Dîpavamsa). Elle raconte qu’après le décès du Bouddha, 500 moines se réunirent en concile pour se remémorer le Dharma et le Vinaya, autrement dit les points de doctrine et les articles de la règle des bhikkhu. La chronique précise : « Parce que ce fut collationné par les anciens (thera), on l’appelle theravâda. » Le texte continue : « Ce theravâda parfaitement excellent resta pur et sans tache pendant longtemps, 10 fois 10 ans », après quoi un schisme survint. 10 fois 10 ans, c’est quelque chose pour un homme, mais pas grand-chose pour l’histoire. Pour les rédacteurs de cette chronique, en tout cas, ce theravâda ne resta sur un chemin « pur et sans tache » que cent ans à peine.

Les nouvelles générations allaient peu à peu se diviser en communautés religieuses, fondées sur la mémoire sélective de leurs membres. Les documents relativement tardifs – 3e siècle de notre ère au plus tôt – qui décrivent ces primo-bouddhistes doivent être interprétés avec un grain de sel, car leurs auteurs n’étaient probablement pas dépourvus de tout préjugé sectaire.

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Le préjugé sectaire qui finit par mettre tous ces « anciens » dans le même sac, ou plutôt le même véhicule, c’est celui des moines qui commencèrent à réagir, autour du commencement de notre ère déjà, contre l’étroitesse de vue de ces thera. Ils les voyaient bornés au culte du Bouddha « historique », à la mémorisation de ses paroles, à l’interprétation figée de celles-ci… Certes, ces Anciens suivaient le chemin du Bouddha, mais dans un Petit Véhicule (hinayâna) réservé à des moines introvertis servis par des laïcs aliénés. Il fallait au contraire embarquer dans un Grand Véhicule (mahâyâna) ouvert à tous, dans lequel chacun, moine comme laïc, était mû par une bienveillance sans limite à l’égard de tous les êtres vivants. Voilà comment le bouddhisme des Anciens – alors divisé en au moins une trentaine de groupes – a fini par devenir un archaïque Petit Véhicule.