Les débats sur le spécisme

Souvent présentés de façon binaire et caricaturale, les débats entre spécistes et antispécistes ne concernent pas que notre alimentation. C’est notre société entière qui est spéciste.

Le mouvement pro-animal reçoit aujourd’hui une forte audience parce qu’il est accompagné d’actions de terrain efficaces, même si parfois illégales : des associations internationales et nationales s’infiltrent dans des lieux normalement fermés, voire interdits au public, pour filmer et dénoncer ce qui, depuis plus d’une cinquantaine d’années, est caché par l’industrie alimentaire et vestimentaire entre autres. Ces vidéos montrant l’envers du décor ont sensibilisé les citoyens du monde sur au moins deux plans : d’une part, la découverte de la souffrance de l’animal destiné à être consommé comme produit alimentaire, d’habillement ou de divertissement, d’autre part la dissimulation, de la part des entreprises, des pratiques de transformation et de mises à mort de l’animal. Le monde du spectacle est également impacté : les cirques, les delphinariums, certains parcs zoologiques, où des animaux en captivité sont en souffrance, ne peuvent plus dissimuler les conditions de dressage et de survie des « animaux de spectacle » majoritairement en voie d’extinction.

Un sujet de société tout sauf binaire

Au premier abord, on pourrait penser que deux camps s’affrontent ici : d’un côté, les spécistes qui souhaitent maintenir la situation en l’état parce que l’animal est tout sauf une priorité pour eux ; de l’autre les antispécistes, qui ne supportent plus cette souffrance animale et vouent désormais leur vie à la supprimer où qu’elle se trouve. Mais la réalité n’est pas si simpliste. Les prises de conscience sont nombreuses et ont engendré différents groupes (voir encadré). Cependant, n’utiliser que les mots spéciste et antispéciste n’est pas innocent : cela permet un peu rapidement de radicaliser un sujet de société complexe qui est tout sauf binaire. Radicaliser une cause la marginalise, la freine et la cantonne à quelques individus un peu trop rapidement étiquetés d’extrémistes.

Des antagonismes lexicaux

Dans les débats relatifs au spécisme, non seulement les mots s’affrontent, mais ils sont particulièrement antagonistes : spécistes vs antispécistes, humanistes vs animalistes, anima listes vs abolitionnistes, welfaristes vs spécistes, néo-welfaristes vs welfaristes. Ces oppositions lexicales manichéennes laissent surtout penser que les animalistes ne seraient pas humanistes, voire qu’ils seraient misanthropes, et que cette misanthropie les conduirait à privilégier les animaux sur l’humain. À l’inverse, les spécistes, tournés vers l’espèce humaine, laissent penser qu’ils seraient philanthropes, et que le sort des animaux et de leurs habitats leur serait indifférent, voire qu’ils contribueraient à aggraver la souffrance des uns et la détérioration des autres au profit de la seule espèce humaine. La réalité prise dans le détail n’est pas si simple : en effet, rien n’empêche un spéciste d’être raciste et sexiste (sa philanthropie s’effondre alors en miettes), et rien n’empêche un animaliste de manger les animaux (auquel cas son respect de l’animal s’en trouve considérablement réduit). Ces débats, aussi binaires qu’ils puissent paraître, ouvrent sur une multitude de cas particuliers, sur une terminologie complexe car nouvelle, et sur des conflits d’idées qui peuvent durer des siècles si l’on ne prend garde aux mots employés et à la manière dont ces conflits vont être traités politiquement et sociétalement.