Les destins brisés de la science

Morts pour la science. 68 destins scientifiques tragiquement contrariés, Pierre Zweiacker, Quanto, 2022, 406 p., 22 €.

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Il est des livres dont la lecture vous plonge dans un état oscillant entre hilarité nerveuse et gêne consécutive à la transgression du tabou de la mort d’autrui. Morts pour la science est l’œuvre d’un funambule de la narration. Le pince-sans-rire Pierre Zweiacker, physicien de son état, propose une chronique funèbre de la recherche scientifique : « Avec vingt-trois suicides, vingt et un meurtres, neuf accidents mortels, quatre décès de cause douteuse et quelques dégâts collatéraux, le bilan du présent ouvrage s’apparente à celui d’un roman noir de la pire espèce », reconnaît-il en conclusion.

Chacun retiendra quelques scènes marquantes. Gageons que Kurt Gödel (1906-1978) frappera durablement les esprits. K. Gödel est un mathématicien, un être qui transcrit sous forme de symboles toute question qu’on lui pose. Obsédé de logique, au point de « procéder à la destruction chirurgicale du fondement des mathématiques ». Son théorème d’incomplétude, exposé lors de sa soutenance de thèse, passe inaperçu : le jury n’y a rien compris. Il faudra un autre génie torturé, John von Neumann, pour comprendre alors le plein potentiel explosif de cette démonstration : « Dans un système cohérent de règles formelles servant à démontrer les propriétés des nombres, il existe certaines de ces propriétés qui, tout en étant parfaitement vraies, demeurent résolument indémontrables. » C’est tout le génie de l’auteur que de nous faire comprendre comment ce théorème a été aux mathématiques ce que la bombe A – à la conception de laquelle contribua de manière décisive J. von Neumann – a été à Hiroshima.