Comment faire le point sur la recherche actuelle dans le domaine des émotions et identifier quelques tendances émergentes, quand on sait qu’en moyenne pas moins de 9 000 articles contenant les termes « émotion », « sentiment », ou « affect » dans leur titre ont été publiés chaque année depuis trois ans ! Face à cette abondance de matière, j’ai décidé de privilégier une évaluation des tendances actuelles.
Émotions primaires et secondaires
Une première tendance est d’ordre conceptuel. Elle dépasse l’opposition traditionnelle entre valence (plaisir ou déplaisir éprouvé) et intensité de l’émotion. Elle distingue émotions primaires et secondaires : si bien souvent deux personnes confrontées au même événement éprouvent la même émotion la plus intense (émotion primaire), il est probable qu’elles en éprouvent simultanément d’autres, associées à cette émotion dominante mais d’un autre ordre (émotions secondaires). Par exemple, si plusieurs personnes éprouvent la même émotion primaire de colère, certaines sentiront aussi des émotions secondaires de honte ou de découragement, tandis que d’autres se sentiront fières ou même joyeuses. Ces associations entre émotion primaire et émotions secondaires aident à comprendre le sens que les gens retirent individuellement ou collectivement d’une expérience émotionnelle. Avec ses collègues, Jozefien De Leersnyder, de l’Université catholique de Louvain, a, par exemple, comparé des Turcs vivant en Turquie, des immigrés turcs vivant en Belgique depuis une ou deux générations, et des Belges établis de longue date sur le territoire belge. Les immigrés turcs de la première génération paraissent émotionnellement très proches des Turcs qui vivent en Turquie ; en revanche, ceux qui font partie de la deuxième génération ressemblent davantage aux Belges sur ce point. Les émotions peuvent être affectées par des mécanismes d’acculturation.
Compétences émotionnelles
Une autre tendance récente implique des tests pour évaluer les capacités émotionnelles. Ces recherches s’inscrivent dans l’engouement pour les « compétences émotionnelles », à savoir les différences individuelles dans la manière dont les individus identifient, comprennent, expriment, utilisent et régulent leurs émotions et celles d’autrui. Ces compétences permettraient de mieux s’adapter aux variations de l’environnement. Comme il est difficile d’évaluer soi-même ses compétences, plusieurs équipes ont travaillé sur des tests. Un instrument récent comme le Geneva Emotion Recognition Test (GERT) permet notamment d’étudier des émotions subtiles comme la fierté ou le soulagement. Alors que les tests ordinaires souffrent de certaines faiblesses (par exemple, ils présentent le plus souvent des émotions exprimées par le seul visage), le GERT présente des vidéos combinant des informations visuelles et auditives. Les premiers résultats sont encourageants, et montrent qu’il est même possible de développer ses compétences de reconnaissance émotionnelle.