Les étudiants seront toujours des étudiants

idier Fischer, Flammarion, 2000, 611 p., 159 F.
Dans une passionnante histoire politique et sociale des étudiants, de la Libération à nos jours, Didier Fischer combat plusieurs clichés et met en évidence les grands traits d'une identité étudiante qui perdure depuis cinquante ans.

Le 8 janvier 1968, François Misoffe, ministre de la Jeunesse et des Sports, inaugure la piscine du campus universitaire de Nanterre qui vient juste de sortir de terre. Un étudiant l'interpelle : « J'ai lu votre Livre blanc. Six cents pages d'inepties. Vous ne parlez même pas des problèmes sexuels des jeunes. » Le ministre rétorque sereinement : « Si vous avez des problèmes de cet ordre, vous feriez mieux de plonger dans la piscine... » Quelques mois plus tôt, ce ministre vient de publier, à la demande du général de Gaulle, le Livre blanc de la jeunesse, un épais rapport dont les conclusions sont très rassurantes : la jeunesse française se sent bien dans cette France de la fin des années 60 ; tout va bien, Monsieur le Président... L'étudiant n'est autre que Daniel Cohn-Bendit, qui donne le ton de ce que seront, quelques mois plus tard, les événements de mai 1968 : « L'insolence de la jeunesse étudiante face au pouvoir politique... »

Il n'est pas sans intérêt de noter que c'est la question de la sexualité étudiante qui fournit à D. Cohn-Bendit son premier prétexte pour apostropher un ministre, remarque Didier Fischer dans la consistante synthèse historique qu'il vient de publier sur les étudiants français. Dans les années 60, ajoute-t-il, « à l'université comme dans la société, la sexualité est devenue un moyen d'épanouissement de l'individu » et un problème politique. Et dans les cités universitaires, la révolte gronde depuis déjà plusieurs années, contre les règlements qui empêchent filles et garçons de se rendre visite...

Les étudiants sont souvent perçus comme le fer de lance de l'agitation sociale, incarnant une jeunesse bouillonnante toujours prête à remettre en cause l'ordre établi. Ce n'est pourtant pas l'avis de D. Fischer. Il s'attache même, tout au long de son livre, à combattre cette représentation en montrant que leurs silences, voire leur indifférence, quant aux engagements politiques furent plus nombreux que leurs révoltes. Les agitations étudiantes, toujours spectaculaires, ne furent souvent que le fait de petites minorités.

Dans la traversée de cette deuxième moitié du xxe siècle, D. Fischer accorde cepen- dant un rôle d'exception à la décennie des années60. Cette période mérite que l'on s'y arrête : elle va entraîner une politisation du milieu étudiant dont on ne trouve aucun exemple, ni dans les années 50, ni à partir du milieu des années 70 jusqu'à aujourd'hui.