Les fraudes scientifiques en psychologie

Le fraudeur scientifique est celui qui invente des données pour étayer ses intuitions et ses thèses privilégiées. Attention danger…

C’est toujours étonnant d’apprendre que de grands savants tels les astronomes Ptolémée et Galilée, ou encore le généticien Mendel, ont « fraudé ». Dans la plupart des cas, le fraudeur invente des données pour étayer ses intuitions et théories, lesquelles, parfois, ne sont pas erronées une fois attestées avec une démarche scientifique valide. La psychologie scientifique n’échappe malheureusement pas à une telle dérive. Cet article présente trois cas de falsifications de données. Il indique aussi quelques-uns des mobiles qui peuvent avoir conduit ces scientifiques à transformer et inventer des données afin d’embellir leurs interprétations et conclusions. De telles supercheries s’accompagnent de la mise sur le marché du savoir de fausses connaissances qui peuvent avoir un impact sociétal conséquent.

Les jumeaux – sans doute – fantômes de Cyrill Burt (1883-1971)

Cyril Burt (1883-1971), professeur de psychologie de l’éducation à l’University College de Londres entre 1931 et 1950, s’est rendu célèbre pour ses travaux démontrant « l’hérédité » de l’intelligence, alors que la communauté scientifique s’interroge sur la question de l’inné et de l’acquis quant aux compétences et performances humaines. Aborder une problématique aussi complexe que l’hérédité de l’intelligence nécessitait une méthode que Cyril Burt pense avoir trouvée, à savoir mettre en évidence des corrélations statistiques fortes entre le quotient d’intelligence (QI) de jumeaux monozygotes ou « vrais jumeaux », issus de la division du même ovocyte fécondé et ayant donc un patrimoine génétique identique, mais qui, par les hasards de la vie (par exemple une adoption), ont été élevés dès leur plus jeune âge dans des milieux différents. Ces jumeaux sont distingués des jumeaux dizygotes qui ont un patrimoine génétique différent parce qu’issu chacun d’un ovocyte différent. Ainsi, pour démontrer que l’intelligence est héréditaire, plutôt qu’acquise après la naissance, cet auteur compare les différents aspects du niveau intellectuel mesuré par le QI des jumeaux élevés ensemble dans la même famille, à celui d’autres vrais jumeaux élevés séparément. Cette comparaison permet de cerner l’effet sur l’intelligence de deux facteurs : soit l’hérédité (jumeaux élevés ensemble), soit l’environnement (jumeaux élevés séparément). Cyril Burt a de plus ajouté des données obtenues à partir de « faux jumeaux », élevés soit ensemble, soit séparément, afin d’évaluer plus profondément l’influence de l’environnement.

Cette méthode des jumeaux paraît judicieuse. Toutefois, elle est extrêmement difficile à appliquer parce que les « vrais jumeaux » élevés dans des familles séparées sont fort peu nombreux. Il faut rappeler que Cyril Burt a occupé un poste administratif de haut rang dans l’éducation à Londres dès 1913, et a dirigé des recherches concernant les résultats scolaires et l’intelligence des écoliers londoniens. Grâce à cette situation, il a sans doute eu accès à des informations sur les familles et les conditions de vie de jumeaux et serait donc parvenu à trouver de « vrais jumeaux » élevés dans des familles séparées. Ainsi, ses premiers résultats concernaient 21 paires de « vrais jumeaux », séparés à la naissance. Trois ans plus tard, Jane Conway, collaboratrice de Burt, ajoute 21 nouvelles paires de jumeaux à celles de l’article original. Huit ans plus tard, Burt, alors déjà âgé de 83 ans, publie un recueil général de ses recherches, comportant un total de 53 paires de « vrais jumeaux » élevés par des familles séparées. Dans ces trois publications, Burt indique un coefficient de corrélation de 0,54 entre les QI de faux jumeaux, et de 0,77 (corrélation plus importante) pour les vrais jumeaux, accréditant ainsi la thèse d’une origine héréditaire de l’intelligence. Peu après le décès de Cyril Burt, des suspicions de fraude ont été émises. Ainsi, Leon J. Kamin, psychologue de l’université américaine de Princeton, s’étonne de surprenantes coïncidences dans les coefficients de corrélation présentés dans les articles de Burt et ses collaborateurs. Dans trois de ses études, le coefficient de corrélation est le même à la seconde décimale près (0,77 ; à la troisième décimale pour deux des études), alors que la taille des échantillons et le nombre de données sont différents. Une telle coïncidence est très improbable sur le plan statistique. Aussi, Leon J. Kamin remet très sérieusement en doute ces résultats statistiques et accuse Cyril Burt d’avoir « fabriqué » ses données afin qu’elles correspondent aux résultats souhaités. Par ailleurs, d’autres journalistes et chercheurs ont également enquêté et lui reprochent d’avoir inventé des collaboratrices : Margaret Howard et Jane Conway, dont l’existence n’a pas été formellement démontrée. Ils estiment qu’il a truqué les QI des jumeaux en fonction de leur classe sociale d’appartenance afin de conforter une visée idéologie préexistante sur le niveau intellectuel des enfants en fonction du bagage génétique de leurs parents. Des chercheurs étaient prêts à recalculer ses résultats statistiques, mais il n’a pas été possible de le faire, car les données brutes rassemblées par Cyril Burt ont été détruites par sa secrétaire, une fois ce chercheur décédé.