Les métamorphoses d'une notion

De l’amour-propre décrié par les philosophes à la confiance en soi célébrée par les psychologues, le regard porté sur l’estime de soi a changé au fil des siècles.

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L’estime de soi est une composante essentielle de la personnalité. C’est la façon dont une personne se perçoit, s’attribue une certaine valeur et ce qu’elle ressent à propos d’elle-même. On distingue l’estime de soi globale et l’estime de soi réactionnelle. L’estime de soi globale désigne l’affection que l’on se porte en général. Celle-ci serait relativement constante dans le temps, à l’âge adulte tout du moins. L’estime de soi réactionnelle est liée à des évènements positifs ou négatifs. Ainsi, la perte d’un emploi ou une rupture peuvent être des évènements menaçant notre estime de soi, alors qu’une réussite peut la « booster ». Certains auteurs arguent néanmoins que les réactions aux évènements ne sont que le reflet de notre estime de soi globale, et non une forme d’estime de soi à part entière.

L’architecture générale du concept est devenue aujourd’hui relativement consensuelle (encadré ci-dessous) et les travaux de recherche, très nombreux, ne cessent de montrer l’impact de l’estime de soi : sur les maladies mentales, pour faire face à la compétitivité croissante dans nos sociétés, pour se sentir compétent ou encore pour notre développement personnel. Comment en est-on arrivé là ?

« Connais-toi toi-même ! » Avant même de se pencher sur la question de l’estime de soi, les penseurs se sont d’abord intéressés à la connaissance que les individus ont d’eux-mêmes. L’intérêt pour cette exploration de soi remonte à l’origine de la philosophie occidentale. La démarche maïeutique développée par Socrate au 5e siècle avant J.C. vise la connaissance de soi, sans chercher à s’apprécier, s’estimer. À travers un questionnement systématique et rigoureux, elle a pour objectif de révéler l’humain à lui-même. La connaissance de nous-mêmes est alors une forme de sagesse.

Orgueil, pouvoir et vanité

Platon est sans doute l’un des premiers philosophes à avoir abordé cette question de l’estime de soi. Poursuivant l’objectif de mieux connaître l’humain, il présente l’âme comme comportant trois niveaux. Thumos est la partie « intermédiaire » entre la raison (logistikon) et le désir (epithumia), elle partage la fonction cognitive de la raison et le caractère spontané et violent du désir 1. Dans certains écrits, Platon décrit ce niveau intermédiaire comme le lieu où l’individu peut sentir l’impulsion compétitive de se distinguer des autres, d’accomplir quelque chose de notable dans le contexte d’une société et de son schéma de valeurs. L’individu peut aussi éprouver de la fierté envers lui-même et ses accomplissements dans la mesure de ses succès et, enfin, rechercher l’estime des personnes qu’il apprécie. Pour Platon, l’estime de soi passe donc par l’action, par les accomplissements. Il considère la volonté d’avoir une bonne estime de soi comme un moteur du comportement humain 2.

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Noble quête ou vulgaire vanité ? Aristote adopte une perspective plus nuancée : il distingue le vrai amour de soi – en tant que la recherche de la vertu et du développement de son potentiel humain – de l’amour de soi « vulgaire », en tant que passion désordonnée. La poursuite du bonheur requiert alors une activité vertueuse et éthique. Même si l’amour de soi d’Aristote ne correspond pas aux conceptions actuelles de l’estime de soi, le concept inclut déjà l’idée d’un processus qui se joue en miroir, au sein duquel la réalité de l’autre entre en jeu et qui conduit à un contenu de bien qui, par son essence, est accessible à tous 3. Par l’amour vrai de soi se construit le « bien commun » et le respect de ses semblables.